Dossier: Toronto
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Bénédiction de Toronto et révisionnisme historique

L’histoire de l’Eglise est sans doute la discipline la plus négligée dans nos Eglises. Certes, tous connaissent plus ou moins la Réforme, Martin Luther ou Jean Calvin, mais combien sont-ils ceux qui ont entendu parler de Jonathan Edwards ou de David Brainerd ? Là, il faut le reconnaître, seule une minorité de chrétiens cultivés savent qui ont été ces personnages. Et pourtant, depuis l’avènement de la fameuse «Bénédiction de Toronto», les noms de Jonathan Edwards et de David Brainerd apparaissent comme jamais dans notre littérature francophone.

Jonathan Edwards (1703-1758) a été avec George Whitefield l’instrument de Dieu dans le Great Awakening (Grand Réveil) qui éclata vers 1735 à Northampton. Aussitôt après, le Réveil prit une extension remarquable et toute la Nouvelle- Angleterre fut touchée par ce mouvement. En 1740, le Réveil atteint son point culminant: des conversions à Christ par milliers, mais aussi une opposition violente de la par des adversaires d’Edwards et surtout le début des manifestations psychiques débridées.

Grand Réveil et «Bénédiction de Toronto»

Un livre récernrnent paru (Embrase nos coeurs) défendant la cause des partisans de la «Bénédiction» affirme que les expériences religieuses de Jonathan Edwards, comme celles du «Grand Réveib>, seraient identiques à celles de la «Bénédictions de Toronto». L’auteur de cet ouvrage, Guy Chevreau, membre de la «Vineyard Airport», cite abondamment Jonathan Edwards, et sa femme Sarah, pour appuyer sa thèse. C’est ainsi que 250 ans après le Great Awaneking, Chevreau déclare sans ambages qu’Edwards aurait approuvé les extravagances de la «Bénédiction de Toronto».

Jonathan Edwards aurait-il été en accord avec la «Bénédiction de Toronto» ? Sur ce point, le revivaliste américain est catégorique: le Grand Réveil s’est éteint à la suite des débordements psychiques. Ce cinglant démenti ne vient pas d’un historien, mais du principal intéressé lui-même ! Lisons une lettre qu’il écrivit en 1743, soit un peu plus de deux ans après le Réveil de Northampton, en 1741:

«Les mois d’août et septembre ont été les plus remarquables de cette année là. Il y avait des convictions et des conversions de pécheurs et de grands réveils parmi les professants et des manifestations extérieures extraordinaires. Il était très fréquent de voir une maison pleine de cris, d’évanouissements, de convulsions, tant la détresse d’une part, et l’admiration et la joie, d’ autre part, étaient grandes».

C’est un fait, et Jonathan Edwards lui-même le reconnaît: les réunions de Réveil étaient parfois entachées d’excès psychiques. Au moment des faits, les phénomènes psychiques et physiques n’étaient ni encouragés ni combattus par le revivaliste. Faut-il en déduire pour autant que les expériences religieuses du «Grand Réveil» étaient comparables à celles de la «Bénédiction de Toronto»? Et surtout, ces manifestations extérieures ont-elles contribué au développement du Réveil?

Sur ces questions, lisons avec attention la suite de la lettre d’Edwards: «Mais par la suite, en 1742, nos amis entendirent parler ou furent témoins de ce qui se passait ailleurs, où les manifestations visibles étaient plus sensationnelles, et ils en conclurent que ce qui se passait ailleurs était bien supérieur à ce qui se passait ici. Ces gens nous dépassaient par leurs extases, par leurs émotions et par un zèle véhément, qu’ils appelaient la hardiesse pour Christ, et nos amis en conclurent qu’ils avaient pénétré plus avant dans la grâce, et qu’ils avaient une plus grande intimité avec le ciel. Ceci donna à beaucoup de nos amis des idées malheureuses et profondément enracinées, dont il est long et laborieux de se débarrasser…»

Edwards est bien conscient de la situation. Mieux, il prend position: «II ne faut pas regarder à l’intensité des émotions religieuses, mais à leur nature. Quelques-uns de ceux qui ont eu de grands ravissements de joie et ont été «remplis» d’une manière extraordinaire, et dont le corps même a succombé, ont manifesté leur caractère chrétien, dans leur conduite, beaucoup moins que d’autres, restés tranquilles, sans faire tant de démonstrations extérieures.»

Les propos de Jonathan Edwards sont confirmés par ceux de David Brainerd (1718-1747), évangéliste parmi les Indiens d’Amérique du Nord et dont l’abnégation et le dévouement furent admirables. Ces lignes, extraites de son Journal, doivent nous inciter à la réflexion: «Il n’y a pas eu de «fausse religion», pas d’agonies corporelles, de convulsions, de hurlements hystériques, d’évanouissements ou de phénomènes analogues, pas de transes ou de visions…, mais l’ouvre de la grâce s’est faite avec une grande sobriété et pureté… Malgré de grandes souffrances et une grande angoisse pour le salut de leur âme, ils ne manifestaient aucun désespoir maladif».

Peu avant sa mort, il écrivit ces lignes: «Insiste toujours en disant que les expériences ne valent rien, que les joies sont illusoires, si le ton général de la vie du nouveau converti n’est pas la spiritualité, la vigilance et la sainteté».

Faut-il parler de révisionnisme historique?

Deux thèses se heurtent. La première, celle de Guy Chevreau, affirme que les excès psychiques constituent une «base historique» pour la «Bénédiction de Toronto»; la deuxième, celle de John Mc Arthur (1) et la nôtre, pense plutôt qu’il n’y a aucun lien entre Northampton et Toronto.

L’histoire n’est pas une science exacte. L’histoire n’est pas simplement connaissance des faits ou de dates, mais elle est aussi interprétation. Aussi, il y a danger de considérer un événement historique avec ses propres lunettes! c’est-à-dire avec ses propres intuitions ou présupposés.

  -Jonathan Edwards était un calviniste convaincu. Pour lui, la doctrine de l’élection, de la souveraineté de Dieu et de la déchéance totale de l’homme était fondamentale. Rien de tel dans la pensée de Chevreau: l’homme est au centre et Dieu n’a qu’à agir. Cette façon de penser et de faire est, à notre avis, consternante. Où est le Dieu souverain? Où est le Dieu d’ordre?

  -Un calviniste croit en l’inspiration totale de l’Ecriture (Sola Scriprura) et, de ce fait, à sa pleine efficacité. C’est pourquoi tous les hommes de Réveil de tendance calviniste (1. Edwards, G. Whitefield, A. Monod, F. Neff, I. Cailler, etc.) n’ont jamais privilégié l’expérience par rapport à la Parole. C’est plutôt le contraire qui s’est produit: l’expérience spirituelle a toujours été soumise au critère de la Parole. Cela a été le cas pour Edwards et Brainerd. Est-ce le cas pour Toronto? A la lumière de ce que nous avons vu et entendu, nous nous permettons de douter…

  -L’histoire le démontre aisément: tous les Réveils ont capoté à partir du moment où les excès psychiques sont apparus. A partir du moment où le «Grand Réveil» dégénéra en des manifestations psychiques incontrôlées, le fanatisme religieux vit le jour et, suite logique des événements, une division se produisit et le Réveil s’éteignit. Pourquoi Chevreau ne mentionne-t-il pas ce fait historique pourtant incontestable?..

  -Un fait est évident, et cela nous trouble profondément: le révisionnisme historique fait son entrée dans les milieux chrétiens. Jonathan Edwards, le calviniste convaincu, le prédicateur de la grâce souveraine de Dieu, deviendrait sous la plume de pseudo-historiens un charismatique arminien! (2) Cette simple constatation nous fait frémir. Après l’histoire, ce sera quoi?..

Réveil et repentance

Finalement, nous devons nous rendre à l’évidence que la «Bénédiction de Toronto» a été dès son origine une excroissance du charismatisme américain, et non un courant de Ré veil digne de ce nom. Pour nous, un Réveil commence toujours par un retour à la Parole qui a pour conséquence un mouvement de conversions et des vies transformées et dont la base est la repentance, c’est-à-dire une profonde conviction de péché. Cette repentance amène l’homme à la vie nouvelle en Christ et cela se traduit par un comportement nouveau, empreint de sagesse et de discernement. Dans tous les cas, la maîtrise de soi -qui est un fruit de l’Esprit -doit être au centre de toute vie chrétienne.

Comme disait quelqu’un: «Mieux vaut être rempli du Saint- Esprit dans le quotidien de notre existence plutôt que de tomber à la renverse sur la moquette!»

P.R.
Notes:
(1) Nous recommandons vive- ment à nos lecteurs la brochure de John Mc Arthur, La Bénédiction de Toronto, Maison de la Bible, 1995.
(2) Arminianisme: doctrine qui enseigne que l’homme peut se déterminer au salut, ou à la perdition, par sa propre volonté.

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