Dossier: Vivre la souffrance
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Une réponse chrétienne au conflit ethnique

L’auteur, marié et père de deux enfants, a été professeur à l’Institut Supérieur Théologique de Bunia, en République Démocratique du Congo. Il a dû fuir avec sa famille les combats inter-ethniques meurtriers qui font rage dans la région. Nous lui sommes reconnaissants pour ce message de paix et de réconciliation que l’Eglise du Christ doit proclamer et vivre au sein d’un monde en quête de paix.

Ces dernières années, les conflits dans le monde connaissent une flambée vertigineuse. Presque chaque continent est touché, et l’Afrique plus que les autres : nos pays doivent faire face à de sérieux problèmes dus aux multiples révolutions armées et guerres civiles. L’Ituri, une région située au nord-est de la République Démocratique du Congo, n’y fait pas exception. Les causes de ces conflits sont diverses, entre autres, ethniques.

Ces conflits ont des conséquences dramatiques et laissent des blessures qui font logiquement souffrir, provoquant la colère, la rancune, voire même la vengeance. Chacun cherche à faire soi-même justice. La situation que nous vivons en Ituri actuellement est telle que si une personne tue son prochain, les membres de famille de la victime cherchent alors à se venger en tuant deux personnes de la famille du meurtrier. Il est même arrivé que les habitants d’un village incendient un village appartenant aux gens d’une tribu rivale, et que pour se venger, les habitants du village sinistré incendient à leur tour plus d’un village.

L’engrenage est facile à constater. Le Docteur Fred Beam dit à ce propos : « Il ne faut pas être extraordinaire pour constater que les gens nous font du mal. C’est ce mal qui est rappelé et qui sert de germe pour la guerre et le conflit. On considère que le mal qu’on nous fait justifie nos actes de représailles. » 1

Le conflit ethnique constitue l’une des réalités africaines, et ses conséquences sont très alarmantes : la société aussi bien que l’Eglise, croyants et incroyants, sont tous négativement affectés. Quelle réponse chrétienne pertinente donner face à un tel défi ? Dans ma réflexion, je poursuis trois buts :

o faire comprendre l’étendue et les enjeux des conflits auxquels nous devons faire face ;
o montrer que ces conflits, loin d’honorer Dieu, empêchent toute forme de progrès ;
o exhorter les chrétiens à devenir actifs dans la recherche d’une solution durable plutôt que d’être pessimistes et passifs.

I. LE CONFLIT ETHNIQUE

La vie quotidienne engendre de nombreuses tensions entre individus ou groupes de personnes. Lorsque celles-ci ne sont pas acceptées, gérées et réglées, elles peuvent dégénérer en conflits violents. Certains de ces conflits sont d’ordre ethnique ou tribal.

Lorsqu’il y a conflit, la volonté de Dieu est que l’homme se repente et qu’il y ait la paix (Héb 12.14). Le seul moyen efficace pour rétablir la paix parmi les hommes reste la réconciliation. C’est dans ce contexte que Packer déclare : « L’âme humaine a été créée de sorte qu’elle ne peut trouver satisfaction et repos dans les seules choses matérielles et tangibles. Sans la réconciliation avec Dieu, sans harmonie avec le plan divin, l’homme ne peut acquérir la joie du salut et la paix avec Dieu et les hommes » 4.

Dieu veut nous confier le ministère de la réconciliation. Il fait de nous les ambassadeurs de Christ, qui supplient les hommes en tous lieux d’être réconciliés avec lui (2 Cor. 5.18). Dieu n’aime pas les conflits qui divisent la société, et encore moins ceux qui divisent la communauté chrétienne.

II. UNE REPONSE CHRETIENNE AU CONFLIT ETHNIQUE

« Vous êtes le sel de la terre … », dit le Seigneur (Mat 5.13). Une question primordiale s’impose : quel rôle l’Eglise est-elle en train de jouer pour la reconstruction des murs écroulés de l’Afrique ?

Le défi africain est plus spirituel qu’ethnique, politique ou économique. La situation de l’Afrique présente à l’Eglise en Afrique, comme à l’étranger, un défi et une opportunité. Ainsi, il est temps que l’Eglise y réponde, et d’une manière décisive, de peur que l’ennemi ne continue à gagner du terrain. Nous sommes appelés à présenter au peuple africain tout le conseil de Dieu : un message de réconciliation, d’humilité, de pardon, d’amour.

1. Un Message de réconciliation

Par « réconciliation » nous comprenons l’action de rétablir accord, harmonie et amitié entre deux personnes brouillées. Bref, c’est le retour à l’état premier, au point de départ.5

La mission principale de Jésus-Christ dans le monde était une œuvre de réconciliation avec Dieu. De même, nous devrions viser la réconciliation des perdus avec leur Sauveur, car c’est là le fondement de la stabilité aux divers échelons de la société. La Parole de Dieu est claire à ce sujet ; elle déclare : « Mieux vaut un morceau de pain sec, avec la paix, qu’une maison pleine de viandes, avec des querelles ».6 Jésus a dit : « Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ».7

La réconciliation constitue le message central de l’Evangile de Jésus-Christ. L’apôtre Paul déclare : « Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie ! »8. C’est seulement sous la croix de Jésus-Christ que les Hemas peuvent être réconciliés avec les Lendus, les Lendus avec les Biras, les Nyaris avec les Lendus, les Hundes avec les Banyamulenges9, les Tutsis avec les Hutus, etc.

Voilà la tâche que le Seigneur nous a donnée. On s’en décharge trop facilement sur les autorités ou sur les organisations séculières. Aussi longtemps que l’Eglise de Christ ne s’applique pas à chercher la paix, chaque membre s’y engageant en particulier, l’unité de l’Esprit sera difficile à démontrer. Celui qui veut la paix cherchera comment apaiser toute sensibilité blessée et tout sentiment ulcéré10. Le peuple de Dieu n’a pas besoin d’être blessé. Jésus a déjà été blessé pour lui.

2. Un message d’humilité

C’est par manque d’humilité que de nombreux problèmes surgissent dans nos sociétés et se transforment en conflits. Or, la Bible nous invite à l’humilité. En Rom 12.16 nous lisons : « Ayez les mêmes sentiments les uns envers les autres. N’aspirez pas à ce qui est élevé, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble… ».

Il n’y a point d’amour qui n’ait pour racine l’humilité. Paul dit aux Ephésiens : « Je vous exhorte donc … à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience, vous supportant les uns les autres avec amour ».11 Cette même exhortation est donnée aux Philippiens (cf. Phil 2.1-11).

Ainsi, nous voyons combien l’humilité nous fera supporter les faiblesses les uns et des autres. Elle conduit les chrétiens à la repentance et à l’amour. Elle empêche les disputes et la vaine gloire. L’humilité nous aide à vivre ensemble, sans être divisés. Quelle excellente réponse au conflit ethnique !

3. Un message de pardon

Le « pardon » est le fait d’accorder l’amour à celui qui nous a offensé. Il est un don d’amour gratuit, une grâce. C’est une libération sans caution : celui qui pardonne renonce à ses droits et refuse la vengeance. Il offre l’amour quand l’ennemi s’attend à la haine, il ne tient pas rigueur des fautes passées. Le pardon restaure le présent, nous guérit pour l’avenir et nous libère du passé.12

D’une part, nous sommes dans l’obligation de demander sincèrement pardon à celui que nous avons offensé. D’autre part, nous devons d’accorder le pardon à notre frère, selon l’ordonnance du Seigneur en Marc 11.25 : « Et, lorsque vous êtes debout faisant votre prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos offenses. » Une attitude de pardon est essentielle pour que notre prière soit efficace (Matt 6.12).

Lorsque Pierre demande à Jésus : « Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ? » Jésus réplique : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois »13. Ceci implique qu’aucune limite ne devrait être fixée dans le pardon. Dieu qui pardonne nos offenses ne tient pas compte de nombre de nos fautes : autant de fautes, autant de pardons. Paul reprend une exhortation de ce genre aux chrétiens d’Ephèse (Eph 4.32). Voilà encore une réponse pertinente face au défi des conflits ethniques.

4. Un message d’amour

L’amour est la base de toute entreprise de réconciliation. L’amour de Dieu n’est pas limité à quelques-uns, mais ce précieux don est offert au monde entier (Jean. 3.16). Nos sociétés et nos églises africaines actuelles sont en proie aux conflits ethniques à cause d’un amour orienté vers certains groupes au détriment d’autres groupes. Un tel amour est à proscrire, car il n’est pas de Dieu.

L’amour chrétien consiste à donner sa vie pour l’autre plutôt que de la lui enlever (1 Jean 3.16). Un tel amour est patient et n’entretient aucune pensée vengeresse, même lorsqu’il est maltraité. Il fait preuve de retenue, de maîtrise de soi face à la provocation.

III. CONCLUSION

Le continent africain doit faire face à de nombreux problèmes, dont celui du conflit ethnique. Or, ces défis entravent le progrès, il est donc temps de nous ‘lever et de bâtir’. En tant qu’ambassadeurs de Christ, nous sommes appelés à défendre la cause de son gouvernement : nous sommes appelés à transmettre fidèlement et dans toute sa richesse l’Evangile de notre Maître.

Dans un monde comme celui-ci, déchiré par les conflits, nous sommes conviés à proclamer un message de paix, de réconciliation, de pardon, d’humilité et d’amour manifestés en Jésus-Christ, le Prince de la Paix. La division, le tribalisme, la haine, les conflits n’ont pas de place dans le témoignage chrétien. C’est ainsi que l’Eglise aura joué son rôle fondamental : celui de transformer le monde. Elle aura réellement été le sel de la terre et la lumièredu monde.

Face à ce défi, que l’Eglise ne se laisse pas distraire ; qu’elle ne fléchisse pas, laissant l’avantage à Satan. Gloire à Dieu car nous n’ignorons pas ses desseins !

1 Fred Beam, "Combien coûte l’emprisonnement?" in Servir (Alexendra Park, Bristol, Angleterre: AIM International, Mars Avril 2001).
2 J.F. Collange, L’Intolérance et le droit de l’autre (Genève: Labor et Fides, 1992), p.75.
3 Jacques & Claire Poujol, Les Conflits : Origine, évolutions, dépassement(La Bégude de Mazenc, France: éd. Empreinte, 1989), p.13.
4 J.I. Packer, La Volonté de Dieu (Paris: éd. La Voix de l’Evangile, s.d.), p.17.
5 Fédération Protestante d’Haïti, Urgence et exigence de la réconciliation(Port-au-Prince, Haïti, 1994), pp.22-23.
6 Prov. 17.1, cp. 15.17.
7 Matt 5.9.
8 Rom 5.10.
9 Les Hemas, les Lendus, les Nyaris, les Hundes, les Banyamulenges sont des ethnies que l’on retrouve au nord-est de la République Démocratique du Congo.
10 E.A. Nida, Coutumes et cultures anthropologiques pour mission chrétienne (Neuchatel : éd de Groupes Missionnaires, 1978), p.101.
11 Éph 4.1-2.
12 F.P.H., Urgence et exigence de la réconciliation, p.29.
13 Mt. 18.21-22.

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Mbabaz Kawha Isaac
L’auteur, marié et père de deux enfants, a été professeur à l’Institut Supérieur Théologique de Bunia (ISTB), en République Démocratique du Congo (RDC). Actuellement il poursuit ses études de maîtrise en théologie à la NEGST (Faculté de théologie évangélique, Nairobi Evangelical Graduate School of Theology). Il est aussi traducteur des COHETA News, forum par courrier électronique pour un échange périodique de nouvelles, d’informations et de ressources issues de la COHETA (Conseil pour l’Homologation des Etablissements Théologiques en Afrique), des institutions en liaison avec cette dernière ainsi que des écoles théologiques, des organismes de soutien et des personnes intéressées. Son siège est à Jos (Nigeria). La COHETA est une agence de la commission chargée de la formation théologique et chrétienne de l’AEA (Association des Évangéliques en Afrique).