Dossier: Pardon et réconciliation
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Vivre le pardon

« Pardonnez-vous réciproquement comme Dieu vous a pardonné en Christ. » (Éph 4.32)

Philippe JUSTON

Philippe Juston est à plein temps pour l’œuvre du Seigneur en région parisienne. Il travaille pour une association humanitaire chrétienne, « La Gerbe » (voir site www.lagerbe.org) ; il a également un ministère par internet de réponses à des questions et il est actif dans son église locale. Diplômé de l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne, il a 38 ans et il est marié à Catherine. Ils ont adopté deux enfants, puis ont eu récemment une petite fille.

Le thème du pardon fait partie de l’ossature sur laquelle s’articule l’histoire de Dieu et de l’humanité. Il s’agit d’un sujet essentiel qu’il est bon de méditer pour pouvoir mieux le vivre comme nous y encourage la Bible, qui nous exhorte à nous pardonner les uns aux autres comme Dieu nous a pardonnés (Éph 4.32 ; Col 3.13). C’est pourquoi dans les lignes suivantes nous proposons de nous arrêter rapidement sur quelques aspects du pardon divin, avant d’examiner un peu plus longuement différents aspects du pardon humain. Les limites imposées à cette étude ne permettant pas de traiter le sujet du pardon dans son ensemble, le choix a été fait de privilégier quelques aspects "théologiques" souvent mal compris.

Le pardon divin, relationnel et juridique

Parmi les nombreux textes bibliques qui font référence au pardon divin, nous en relèverons un qui permet de saisir plusieurs aspects de ce pardon : « Et vous, qui étiez morts à cause de vos fautes, et parce que vous étiez des incirconcis, des païens, Dieu vous a donné la vie avec le Christ. Il nous a pardonné toutes nos fautes. Car il a annulé l’acte qui établissait nos manquements à l’égard des commandements. Oui, il l’a effacé, le clouant sur la croix. » (Col 2.13-14)

Le début de ce texte place le « cadre » dans lequel prend place le pardon divin en abordant la question du rapport entre l’homme et Dieu sous son angle relationnel et sous son angle juridique :

– parler de mort spirituelle, c’est dire qu’il y a séparation entre l’homme et Dieu et qu’il ne peut exister de relation de communion entre eux ;
– parler de fautes, c’est dire qu’il y a une loi qui a été transgressée, donc qu’il y a un offenseur (celui qui a commis la faute) et un offensé (celui envers qui la faute a été commise).

Les fautes de l’homme sont présentées ici comme la cause de sa mort spirituelle ; vu sous un autre angle, cela signifie que la cause du problème relationnel qui existe entre l’homme et Dieu est de nature juridique.

Après avoir dépeint la situation passée des destinataires de sa lettre, l’apôtre parle de leur situation présente : ils ont la vie. Ils sont donc maintenant enfants de Dieu et ont une relation de communion avec lui. L’apôtre souligne alors que ce qui a permis de rétablir cette relation, c’est le pardon que Dieu leur a octroyé ; pardon qui consistait en l’annulation, en l’effacement de l’acte qui établissait leurs manquements. Ainsi le pardon divin se révèle être l’acte par lequel Dieu ôte l’accusation qui pèse contre celui qui a transgressé sa loi. Dès lors, une relation de communion peut exister entre Dieu et l’homme puisque ce qui faisait obstacle à cette dernière a été ôté. Le pardon divin qui se situe sur un plan juridique a pour conséquence la réconciliation qui se situe sur un plan relationnel.

Encore un point important à relever au sujet du pardon divin : à qui est-il octroyé ? Bien que Dieu aime l’homme et soit disposé à lui pardonner, le pardon divin n’est accordé que dans la mesure où l’homme se repent de ses fautes et demande pardon à Dieu.

Le pardon humain, à l’image du pardon divin

Le pardon divin servant de modèle au pardon humain, nous nous proposons maintenant d’aborder quelques aspects du pardon humain en gardant à l’esprit les différents points rappelés précédemment.

Parler de nécessité de pardon entre deux personnes, c’est dire qu’il y a nécessité de restaurer la relation entre ces deux personnes à cause d’une offense qui l’a perturbée. À l’image de ce que nous avons vu pour le pardon divin, lorsque l’offensé déclare à l’offenseur qu’il lui pardonne, il lui déclare qu’il ne tient plus compte du contentieux qui le séparait de lui. Cela a plusieurs conséquences.

Pardon et libération du ressentiment

Une première implication est que pardon et libération du ressentiment sont deux choses différentes. Lorsque nous sommes offensés, cela génère en nous des émotions : tout comme la douleur physique nous avertit que notre corps a été blessé, les émotions que nous ressentons nous signalent que notre âme a été blessée. Ces émotions peuvent être saines ou malsaines ; si elles sont malsaines il peut nous arriver de les garder pour nous-mêmes et de les laisser dégénérer et se transformer en ressentiment profond, voire même en haine contre celui qui nous a blessés. Ce ressentiment, cette amertume, voire même cette haine, sont un péché qu’il nous faut régler devant Dieu. Rejeter sur l’offenseur la responsabilité de ce que nous vivons n’est pas la solution pour régler ce péché qui entrave notre relation avec Dieu. Même s’il est vrai que celui qui nous a blessés est coupable de ce qu’il a fait, qu’il y a sans doute une réelle injustice à notre égard, nous sommes pour notre part responsables devant Dieu de notre réaction ; et si nous réagissons mal, ce n’est pas uniquement à cause de celui qui nous a blessés, mais c’est avant tout dû au fait que nous sommes pécheurs et que notre réaction est entachée par le péché. Si nous n’étions pas pécheurs, nous réagirions sainement, à l’exemple de Jésus … Ainsi, lorsque nous réalisons que nous avons laissé se développer en nous des sentiments qui ne sont pas selon Dieu, c’est vers lui qu’il faut se tourner en les lui confessant avec repentance, et en lui demandant qu’il nous en libère et qu’il place en nous son amour et sa paix. Cette démarche qui a lieu entre Dieu et nous-mêmes et qui vise notre restauration spirituelle est donc différente de la démarche du pardon qui a lieu entre l’offenseur et l’offensé et qui vise leur réconciliation. Ce qu’il faut encore souligner, afin que les choses soient bien claires, c’est qu’être libéré de son ressentiment ne signifie pas nécessairement que l’on ne va plus souffrir de l’offense subie ; cela signifie plutôt que l’on va réagir de manière saine face à cette souffrance.

Pardon et disposition à pardonner

Une deuxième implication est que pardon et disposition à pardonner sont deux choses différentes. En effet, lorsque quelqu’un nous a offensés, nous pouvons être libérés de tout ressentiment envers lui, être prêts à lui pardonner et même l’aimer, sans pour autant lui avoir pardonné ! Le modèle divin du pardon aide à saisir cela : Dieu est disposé à pardonner à l’homme, Dieu aime l’homme, mais tant que ce dernier ne s’est pas repenti, Dieu ne lui accorde pas son pardon et l’homme ne peut espérer avoir communion avec lui. Il devrait en être de même pour nous : si nous sommes dans une situation où nous n’avons pas pu accorder notre pardon à notre offenseur (mais où nous sommes cependant prêts à l’accorder s’il vient nous le demander), alors nous ne pourrons pas avoir une relation normale avec cette personne comme si de rien n’était. Cela ne nous dispensera pas de l’aimer et de rechercher son bien comme Dieu nous le demande pour tout être humain ; mais sur le plan pratique cela signifiera qu’une relation harmonieuse ne pourra pas s’établir tant que le problème ne sera pas réglé.

Pardon et réconciliation

Une troisième implication est que pardon et réconciliation sont deux choses différentes. Même si la réconciliation est intimement liée au pardon, elle en est cependant distincte puisqu’elle en est la conséquence comme nous l’avons vu dans le modèle divin. Confondre ces deux choses peut amener à chercher la réconciliation sans régler le problème de fond, ce qui aboutira à une relation bancale où le problème finira par ressortir tôt ou tard.

Pardon et oubli

Une quatrième implication est que pardon et oubli sont deux choses différentes. En s’appuyant sur des traductions littérales de textes comme Héb 8.12 ou 10.17 qui disent que Dieu ne se souviendra plus de nos péchés, nous pourrions penser que le fait de pardonner une offense implique que nous oubliions celle-ci (dans le sens d’un « effacement » de notre mémoire). En fait une telle compréhension est à écarter, tant sur le plan linguistique que sur le plan théologique. En effet, l’emploi de l’expression : « Dieu se souvient » dans des textes comme Gen 8.1 ; 19.29, etc., montre que l’expression « Dieu ne se souviendra plus de nos péchés » signifie qu’il n’en tiendra plus compte (cf. la traduction du Semeur), qu’il ne va pas agir en fonction de nos péchés. Et sur le plan théologique, il est évident que cette expression ne peut être comprise dans le sens d’une « amnésie » de Dieu par rapport aux péchés pardonnés : sinon cela signifierait que nous serions à même de savoir des choses que le Dieu omniscient lui-même ignorerait !

Ainsi, puisque pardonner n’implique pas de devenir « amnésique » quant à l’offense subie, cela signifie que même après avoir remis ses griefs à Dieu et pardonné à l’offenseur, l’offensé peut garder une cicatrice liée à l’offense, cicatrice qui peut être longue à se refermer.

L’octroi du pardon humain

Avant de terminer, nous aimerions nous arrêter encore sur un point, celui de l’octroi du pardon humain.

Si nous nous reportons au modèle divin, nous en concluons que le pardon ne peut être accordé que s’il y a repentance. Et cela est confirmé par Jésus en Luc 17.3-4 où il met tout spécialement en évidence la nécessité de la repentance pour que le pardon puisse être accordé par l’offensé. À cet égard, il faut souligner qu’il n’est peut-être pas toujours nécessaire de s’attacher à entendre exactement les mots : « je me repens », car la repentance peut s’exprimer par d’autres termes. Mais il est essentiel qu’elle soit là pour que le pardon puisse être accordé : d’abord parce que vouloir pardonner sans qu’il y ait repentance, c’est refuser de se conformer au modèle divin. C’est finalement vouloir faire les choses comme on l’entend, et non pas comme Dieu le veut ! Ensuite, parce que se repentir, c’est reconnaître qu’on a eu tort, qu’on est fautif. Par conséquent, pardonner sans exiger de repentance, c’est donner raison à l’offenseur et d’une certaine façon c’est l’encourager à continuer dans sa voie ! La repentance est aussi importante vis-à-vis de l’offenseur, car une offense envers le prochain est aussi une offense envers Dieu puisqu’il demande d’aimer son prochain. Ainsi, c’est par la repentance envers Dieu et envers son prochain que l’offenseur peut être délivré de son péché. Enfin, exiger la repentance est important, car pardonner sans repentance revient plus ou moins à cautionner le mal et c’est d’une certaine manière refuser de rétablir l’ordre moral qui a été bafoué.

Affirmer que la repentance est nécessaire à l’octroi du pardon amène inévitablement à s’interroger sur des textes comme Matt 6.15 ; 18.33-35 ; Marc 11.25-26 ou Luc 11.4, qui semblent faire dépendre le pardon divin du pardon humain. Cette compréhension ne peut cependant pas être retenue, car le reste de l’enseignement biblique montre clairement que ce n’est pas en pardonnant que nous pouvons gagner le pardon de Dieu (ce serait le salut par les œuvres). Dès lors, il nous semble que ces textes présentent le pardon humain comme la « condition-conséquence » du pardon divin et non comme la cause, qui en est la grâce de Dieu. Et ce n’est pas un cas isolé puisque l’enseignement biblique présente d’autres « conditions-conséquences » du salut telles par exemple la persévérance (Matt 10.22 ; 24.13) ou la sanctification (Héb 12.14 ; 1 Cor 6.9, etc.).

Vivre le pardon

Vivre le pardon dans nos relations interpersonnelles n’est donc pas une option pour le chrétien. Se pardonner les uns aux autres est un acte que Dieu nous appelle à vivre pour restaurer les relations avec notre prochain. Car comment pourrions-nous vivre l’amour de notre prochain tout en refusant de lui pardonner ?

En même temps, vivre le pardon à l’image du pardon divin peut paraître un but impossible à atteindre. Mais l’amour de Dieu versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint n’est-il pas le moteur essentiel qui permet de réaliser ce qui pourrait paraître inconcevable ?

« Le Seigneur vous a pardonné : vous aussi, pardonnez-vous de la même manière. Et, par-dessus tout cela, revêtez-vous de l’amour qui est le lien par excellence. » (Col 3.13-14)

Bibliographie

Nous conseillons vivement au lecteur qui voudrait approfondir le sujet du pardon l’excellent livre de Jacques Buchhold et duquel nous nous sommes largement inspirés pour cet exposé.

– Neil Anderson, Une nouvelle identité pour une nouvelle vie, Editeurs de Littérature Biblique, Braine-L’Alleud, p. 191-206.
– Jacques Buchhold, Le pardon et l’oubli, Excelsis, Cléon d’Andran, 1997, 169 p.
– Samuel Hatzakortzian, Le pardon une puissance qui libère, Compassion, Challes-les-Eaux, 1980, 93 p.
– Jacques et Claire Poujol, Manuel de relation d’aide, vol. 2, Empreinte, Paris, 1996, p. 99-107.
– R. Vercellino-Aris, « Le pardon : une résurrection », La Revue Réformée, n° 198, mars 1998, p. 33-53.

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Juston Philippe
Philippe Juston, diplômé de l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne, est à plein temps pour l’œuvre du Seigneur en région parisienne. Il travaille pour une association humanitaire chrétienne, La Gerbe ; il a également un ministère par internet de réponses à des questions bibliques.