Dossier: L'évangile selon Marc
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Comme ayant autorité et non pas comme les scribes

(Marc 1.21-28)

Quand Jésus prend la parole, la foule s’étonne, un démon s’alarme, les religieux s’effacent, les légalistes s’agacent (11.18) : c’est le royaume qui avance ! Nos interventions reflètent-elles sa puissance ? Selon Marc, c’est une question d’autorité. En effet, parler c’est prendre autorité sur son auditoire pour l’influencer (2 Cor 10.8) : si le but ne sert pas Christ, il le dessert.

L’enseignant est d’autant plus responsable qu’il a reçu plus d’autorité pour influer sur l’action, la pensée, ou la conviction de son auditoire (Jac 3.1). Mais nous sommes tous appelés à discerner au nom de quelle autorité nous témoignons à un non-converti ou encourageons un frère. N’en déplaise au relativisme ambiant, Dieu seul rend notre parole efficace (1 Cor 2.4). Comment évaluer sa puissance spirituelle ? Tirons des éléments de réponse de Marc 1.21-28.

I. Observation

Dans cet évangile, Jésus parle peu, mais ses paroles en disent long. Ce passage traite moins de la doctrine de Jésus (évoquée en 1.15) que de sa pédagogie et de son influence.

1. L’intervention du démon

Le démon reconnaît leur entière séparation d’intérêt : « Qu’y a-t-il entre nous et toi ? » Il sait que Jésus vient détruire le règne de Satan. Il clame devant tous une messianité qu’il oppose à son humble origine. espérant peut-être une réaction hostile de la foule. Jésus dérange par sa présence, son message inhabituel, son autorité qui remue les foules. Il est le Messie : celui dont la parole libère du péché et de toute autorité rivale (chair, monde, malin).

2. La réaction de la foule

La foule a noté l’autorité du prédicateur : sa parole « frappe » littéralement (grec : ekplessô). L’intervention du démon défie un instant cette autorité, mais son échec la confirme et l’amplifie. La foule constate alors, presque « terrifiée » (grec : thambeô), l’autorité du guérisseur : sa parole possède une redoutable efficacité aussi dans le monde spirituel !

II. Interprétation

1. L’importance d’une bonne pédagogie

Marc relève deux oppositions à Jésus : celle des scribes et celle des démons. Que peuvent-ils  bien avoir de commun ? Ils agissent au nom d’une autre autorité que celle de Jésus. Les démons nuisent au royaume de Dieu, et les scribes ne le soutiennent pas. Aucun ne sert Dieu.

Après l’exil, les scribes étaient chargés de garder la loi pour l’enseigner et la faire appliquer. Esdras a rempli à merveille son noble rôle (Esd 7.10). Mais ses successeurs, au lieu de servir Dieu et son peuple, servent leurs intérêts. Aveugles à leur belle vocation, aveuglant aussi le peuple pour son plus grand malheur (Mat 15.14). Au lieu de le préparer à reconnaître Jésus, ils l’incitent à le calomnier (3.22), et se rendront complices de sa crucifixion (15.1,11-14).

On comprend mieux la présence d’un démoniaque dans une synagogue ! Certainement que l’enseignement traditionnel ne le gêne pas outre mesure. Il se réjouirait même ! Car les scribes, qui monopolisent souvent la parole, endorment plutôt le peuple au lieu de le préparer à la venue de son Messie. C’est tout le drame d’une mauvaise utilisation de l’autorité déléguée par Dieu. Le terrible contre-exemple des scribes avertit : « Ceux qui conduisent ce peuple l’égarent, et ceux qui se laissent conduire se perdent [ou : sont engloutis] » (És 9.16).

2. Deux autorités en question

Comparons les caractéristiques de la parole de Jésus et de celle des scribes, comme nous y invite Marc. A son époque, le rapprochement entre Jésus et les scribes est limpide. Pour le comprendre, lisez Marc 7.3-13, qui rapporte l’affrontement célèbre entre Jésus et les conducteurs religieux du peuple (scribes et pharisiens). Parmi les traits dénoncés par Jésus, deux nous intéressent particulièrement.

Autorité de Jésus dans Marc 1

Autorité des scribes éclairée par Marc 7

La Parole vivante

Convergent vers Jésus et attestent son autorité, la Loi et la prophétie (représentées par Moïse et Élie en 9.4) – et non seulement le témoignage des prophètes (1.3,7), mais aussi celui de Dieu lui-même, l’Esprit (1.10) et le Père (1.13). Comme l’a prédit Moïse (Deut 18.18), Dieu parle directement en chair et en os. Jésus est vraiment la Parole de Dieu.

Mieux, Jésus est le salut qu’il professe (Jean 5.39) ! Par lui, tout devient clair ; sans lui, tout demeure incompréhensible, comme voilé.

Leur tradition (méprise la Parole de Dieu)

Leur enseignement n’est pas le fruit d’une méditation personnelle, mais une synthèse érudite d’opinions souvent contradictoires !

D’ailleurs, Jésus confondra leur connaissance de paille (12.35-37).

En exaltant leur tradition1, les scribes relèguent au second plan l’autorité de la Parole de Dieu : « Vous abandonnez le commandement de Dieu, et vous observez la tradition des hommes » (7.8).

La parole en action

Jésus n’enseigne pas seulement, mais sa parole agit conséquemment. Parler avec autorité, selon Marc, c’est parler preuves à l’appui. Son évangile va certifier à 19 reprises l’autorité du Maître en illustrant sa puissance sur la maladie, la nature, les démons, sur la mort, voire le pardon du péché (2.5) !

A messager divin, message exceptionnel, signes éclatants ! Bien que l’Évangile selon Marc dépeigne un Jésus tout en actions, celles-ci ne sont pas gratuites : elles interprètent ce qu’il enseigne, tout comme son enseignement interprète ses actions (ex. : 2.10).

Leurs théories (abolissent l’obéissance à Dieu)

Les scribes se complaisent dans des systèmes spéculatifs leur évitant d’obéir au véritable commandement de Dieu (12.28-31). Leur méthode déroute : une telle quantité d’opinions discordantes neutralise le but pratique pour lequel la Parole est révélée. Ils n’incitent pas le peuple à obéir à Dieu, mais à leurs rituels. Mortel troc !

D’ailleurs, leur piété de surface n’est aux yeux de Dieu que du vent (7.7), simple apparence (12.40).

En exaltant leur tradition, ils anéantissent l’autorité de la Parole, sa puissance de vie : « annulant ainsi la parole de Dieu par votre tradition, que vous avez établie » (7.13).

En conséquence, Israël a perdu sa dignité de peuple élu, le ministère (ou sacerdoce) confié par Dieu pour guider les nations (Ex 19.6). A cause de ses responsables, le peuple est mort spirituellement et moralement, préférant ses penchants naturels à l’alliance de vie : « Mon peuple est détruit, parce qu’il lui manque la connaissance. Puisque tu as rejeté la connaissance, je te rejetterai, et tu seras dépouillé de mon sacerdoce » (Os 4.6).

III. Application

1. Attention danger !

a. La leçon des scribes

Les scribes devaient réveiller le peuple, ils l’ont décimé. « Malheur au pasteur de néant, qui abandonne ses brebis ! » (Zach 11.17a). Malgré l’habit religieux, scribes et « responsables spirituels » semblent aussi coupables que ce démon (cf. 1 Cor 2.8). Leur contre-exemple nous interroge : risquons-nous un tel danger ? Comme le craint un prédicateur, pourrions-nous répondre un jour à un envoyé de la grâce : « Qu’avons-nous à voir avec toi ! » ?

La Bible parle d’un jugement qui commencera par la maison de Dieu, pour qui aura porté son autorité en vain. Jésus nous avertit du constant besoin d’être réveillés de notre torpeur (14.38). Dans sa grâce, il envoie des hommes « marteler » la vérité (Jér 23.29)2. Eux-mêmes sont appelés à se juger pour ne pas être jugés : quand je prêche, entend-on le héraut de Christ ou un fonctionnaire de la Bible ? Mes ouvres montrent-elles la lumière de Dieu (Mat 5.16) comme Israël voyait Moïse rayonner la gloire divine (Ex 34.34s) ? Ces avertissements effrayants sont en réalité une belle chance pour nous de réagir pendant le temps qui reste.

b. Une responsabilité partagée

C’est que l’enjeu est de taille : sans Christ, une réunion d’église a-t-elle encore du sens ? Quand ses responsables délégués guident un peuple éveillé vers Christ, c’est l’Évangile qui avance. Combien d’hommes de Dieu, à travers les siècles et aujourd’hui encore, par leur peine, leur douleur et leur persévérance ont témoigné leur amour du Seigneur et leur souci pour les brebis qu’il leur a confiées ! Hélas, combien s’épuisent, ou se font piéger par la tradition, ou par le confort de leur position. Ne sont-ils pas souvent injustement chargés de tâches qui les éloignent de leur vocation (Act 6.4) ? Un serviteur de Christ saura les décharger (Gal 6.2,6) ; ne le sommes-nous pas tous ? Sachons les encourager à nous encourager !

2. Que faire ?

a. Agir en Christ

Contre le pouvoir anesthésiant d’une tradition sans Esprit, seul Christ transcende notre parole (Col 2.8). Jésus est notre autorité. En lui, nous ne possédons pas l’autorité apostolique pour ajouter à l’Évangile3, mais celle qui donne le droit de le proclamer et de le faire respecter. Dieu a appuyé la prédication des Réformateurs car ils savaient de qui ils parlaient, quand d’autres répétaient machinalement des paroles qu’ils ne comprenaient plus (Mat 6.7 ; 2 Cor 3.14). Comment bénéficier de cette autorité et de cette puissance ?

En demeurant dans la Parole vivante de Dieu. Notamment par l’immersion dans sa Parole écrite (Héb 4.12). Centre de la révélation, Jésus l’éclaire. Sans Christ, la Bible a-t-elle encore du sens ? Interprète par excellence de la Parole de Dieu, il est cette Parole. L’efficacité d’un témoignage, d’un encouragement, ou d’une prédication repose en Jésus (cf. 1 Thes 2.13), sur la base d’une étude systématique sérieuse, personnellement méditée (1 Tim 4.13-16 ; Jos 1.8 ; Ps 1.2 ; 119.99 ; etc.). Sola scriptura : la Bible suffit, qui enseigne une vie en règle avec Dieu et les hommes. En cela, son autorité vaut toutes les lettres de créance4.

b. Agir en conséquence

Contre la facilité illusoire d’une doctrine sans chair, seule compte une parole suivie d’actes conséquents d’amour (1 Jean 3.18 ; Gal 5.6). Je suis le premier acteur de mon enseignement.

Certaines contradictions sont dévastatrices, surtout au service de Dieu (Tite 1.16). Combien de chrétiens abandonnent leur assemblée à cause d’un décalage accablant entre les mots et les actes ! Il n’est pas aisé pour le chrétien, prédicateur ou non, d’espérer écoute et obéissance sans montrer l’exemple. Pire, si ses actes « parlent plus fort que ses paroles », selon l’adage.

Conclusion

Autre chose oppose Jésus et les scribes : son infaillible compassion (3.20 ; 6.34) et leur indéniable égoïsme, hypocrite au point de subordonner la sagesse divine à leur gloire personnelle, la vérité éternelle à l’opinion populaire : c’est particulièrement frappant lorsque la question de l’autorité est explicitement posée en Marc 11.27-33.

Contre la norme ambiante (Rom 12.2a), Jésus enseigne une autorité dans l’humilité du service mutuel (10.42-45). Héritiers avec Christ, nous sommes d’autant plus serviteurs que nous avons toute légitimité d’annoncer la meilleure nouvelle de tous les temps. Prendre la parole ne donne pas droit à l’autorité, mais notre autorité en Christ donne le devoir de parler. Celui qui voit guide l’aveugle, et sert selon son degré de connaissance (Rom 12.3ss ; 1 Cor 15.10).

Face à ce triple choix – tradition ou Écriture, théorie ou obéissance, égocentrisme ou compassion – résumons ainsi : s’il veut que sa parole soit puissante, que celui qui parle fonde son autorité sur le modèle d’humilité de Jésus en sachant de quoi et de qui il parle et en le prouvant dans ses actes, développant un amour sincère pour son interlocuteur.

Que notre présence dans ce monde à l’agonie transmette ainsi la vie de Christ qui fait croître son corps en quantité – dans la justification – et en qualité – dans la sanctification.

Soli Deo gloria !

1 La tradition biblique (2 Tim 2.1-2 ; Tite 2.1) est bonne, mais le danger survient quand les ajouts ecclésiastiques tentent de la dominer. Cf. F. Horton, « Les sources de notre connaissance », Promesses, 126, 1998/4, p. 11-23.
2 Sans confondre exhortation constructive et reproche acerbe ! La douceur enseigne aussi bien (Phil 4.5 ; Mat 21.5 ; 1 Cor 4.21 ; Gal 5.23 ; 6.1 ; 1 Pi 3.16 ; etc.) ! Elle frappe d’autant plus que ce monde n’y est pas habitué !
3 Nous ne sommes pas Jésus, et un homme ou une église ne sauraient se prévaloir d’une succession apostolique pour imposer sa propre autorité. L’autorité de la Bible, seule tradition apostolique fiable de l’enseignement de Jésus, est notre référence supérieure. Dans ce sens, Jésus n’est pas un modèle à imiter, comme le diable qui cherche à le singer.
4 Luther, fort de l’autorité apostolique à laquelle il se référait, a pu ainsi avertir sa haute autorité ecclésiastique. Encore aujourd’hui, avec l’autorité de la Parole, nous avons le privilège d’amener à la repentance nos « scribes » ou « papes évangéliques ».

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Dossier : L'évangile selon Marc
 

Mondin Frédéric
Frédéric Mondin travaille pour les éditions BLF. Il vit actuellement en Bolivie avec sa femme. Il est membre du comité de rédaction de Promesses.