Etude biblique
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La plainte de la foi : Jérémie 20

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’aime l’ordre. Je crois que nous en avons tous besoin pour nous développer et comprendre notre entourage. Nous sommes rassurés de savoir que Dieu contrôle tout, qu’il nous écoute et répond à nos prières. À l’inverse, le désordre perturbe. Trop de désordre rend la vie impossible. Perdre ses clés de voiture, passe encore, mais perdre le sens de la vie… Que reste-t-il lorsque Dieu semble sourd, lointain, incompréhensible ? Que faire ? Que dire ? C’est une situation que le prophète Jérémie va devoir traverser.

1. Abandonn&eacute

Jérémie prophétise depuis plusieurs années contre le roi de Juda et les habitants de Jérusalem. Il annonce la fin du Royaume de Juda et la destruction de la ville par le roi de Babylone. Des années de combat en paroles, de menaces reçues, de marques de mépris essuyées. Le prophète tient bon, accroché à cette promesse de Dieu : « Ils vont combattre contre toi, mais ils ne l’emporteront pas, car je suis avec toi, je te protégerai. » (Jér 1.19).

Aujourd’hui, quelque chose de nouveau s’est produit : Jérémie subit la persécution physique. Le chef du temple l’a fait arrêter, rouer de coup et attacher à un poteau à la porte de Jérusalem. Le prophète est blessé, exposé a la honte, et devra rester attaché jusqu’au lendemain. Toute une nuit de souffrance, de lutte avec lui-même et avec Dieu.

Pire que les moqueries, complots et menaces, pire que la souffrance physique et la solitude, c’est le sentiment d’être abandonné de Dieu. Jérémie crie à Dieu… et Dieu ne répond pas. Jusque là, les choses suivaient un ordre. Dieu avait annoncé l’opposition, cela s’était passé. Le combat avait été dur, mais il avait du sens : l’Éternel était là. Maintenant, Dieu semble l’avoir laissé tomber : à quoi bon lutter ?

2. Tu m’as trompé !

Dans cette nuit de souffrance et d’abandon, le prophète va crier à Dieu sa colère : « Seigneur, tu m’as trompé ! » (Jér 20.7). Jérémie ne comprend plus : le Dieu proche et fidèle se transformerait en ennemi, en traître, en bourreau sadique ? L’Éternel n’est plus son refuge, mais son pire cauchemar. Souffrant, tiraillé par l’incompréhensible, Jérémie se révolte. Il en veut à Dieu et lui dit ses « quatre vérités » : tu m’as piégé ! Jérémie préférerait ne pas être prophète, mais il n’a plus le choix… Le voilà coincé, écrasé entre Dieu et les hommes. Il continue : « Je me dis alors : "Je ne penserai plus au Seigneur, je ne parlerai plus de sa part", mais tout au fond de moi, il y a comme un feu qui me brûle. Je me fatigue pour être plus fort que lui, et je n’y arrive pas. » (Jér 20.9).

3. Maudit soit le jour où je suis né !

Jérémie va plus loin. Au Dieu qui l’a choisi avant sa naissance pour l’établir prophète (Jér 1.5), il dit : « Ah ! Qu’il soit maudit, le jour de ma naissance ! Que personne ne dise du bien du jour où ma mère m’a mis au monde ! […] Si seulement Dieu m’avait laissé mourir avant ma naissance ! Le corps de ma mère m’aurait servi de tombe. Elle m’aurait gardé en elle pour toujours. Si je dois connaître tristesse et souffrance et finir ma vie dans la honte, pourquoi suis-je sorti de son ventre ? » (Jér 20.14, 17-18).

Non seulement Jérémie ne veut plus de sa vocation, mais il aurait préféré ne jamais voir le jour. En effet, à ses yeux, sa vie n’est qu’une longue erreur, une longue souffrance, une longue nuit froide et incompréhensible. Sa vie n’a plus de sens, alors autant n’avoir jamais vécu.

4. Des paroles qui dérangent

Que dire après de telles paroles ? Comment réagirais-je si un chrétien engagé se mettait à prier comme Jérémie ? Après un moment de gêne, ne lui dirais-je pas : « Arrête ! On ne peut pas parler à Dieu sur ce ton ! » ?

Ces paroles sont pourtant dans la Bible, dans la bouche d’un serviteur de Dieu, d’un prophète qui parle habituellement de la part de l’Éternel. Qu’est-ce que Dieu a voulu nous apprendre en laissant Jérémie transcrire ainsi ses idées noires dans la Bible ?

Une première remarque s’impose : ces paroles seraient sans doute blasphématoires si elles n’étaient pas adressées directement à Dieu. En lui parlant, Jérémie continue à le considérer comme un partenaire de relation. Il ne voit pas Dieu, il ne le sent plus, mais en priant, il accomplit un acte de foi. Si Jérémie prie, c’est parce qu’il croit que Dieu l’écoute.

5. Être vrai avec Dieu

La première grande leçon de ce passage, c’est que Dieu veut que nous soyons vrais avec lui. Il ne veut pas d’une relation simplement polie, gentillette, sans vérité ni profondeur. Il veut que nous tombions le masque et les formules « évangéliquement correctes » derrière lesquelles nous nous cachons. Il veut que nous lui disions la vérité… qu’il connaît d’ailleurs depuis longtemps !

Jérémie l’avait compris : il ne cache rien à Dieu et lui livre tout en vrac : sa colère, sa révolte, son dégoût de la vie. Car Dieu donne au croyant le droit de se plaindre plutôt que de se cacher, comme nous, derrière un « Tout va s’arranger » ou « Que Dieu te bénisse ! » Dieu a les épaules assez larges pour supporter nos plaintes, nos révoltes et nos doutes. Il préfère mille fois que nous les lui disions à lui plutôt qu’à un autre – qu’il s’agisse d’un pasteur ou d’un psychologue !

En choisissant ce chemin, Jérémie ne se débat pas dans le vide, mais il se bat contre Dieu. Ainsi, il ne tombe pas dans l’absurde, dans le vide du non-sens, mais il crie sa plainte devant Dieu et s’écroule dans sa main.

6. Une lumière au cœur de la nuit

Jérémie est attaché à son poteau au milieu d’une nuit épaisse qui pénètre jusqu’au fond de son âme. Au milieu de ses plaintes, une lueur surgit, inattendue : « Le Seigneur est avec moi, il combat pour moi avec puissance. […] Chantez la louange du Seigneur ! Oui, il a arraché le malheureux aux mains des méchants. » (Jér 20.11,13). Comment comprendre ce chant de louange ? Comment Jérémie peut-il passer de la dépression la plus complète, à la louange, accuser Dieu de tromperie et quelques secondes après chanter sa victoire ?

Plus troublant encore : si plusieurs psaumes de détresse s’achèvent en louange, Jérémie, après avoir chanté sa foi, reprend ses plaintes plus vivement qu’avant ! Après avoir proclamé la délivrance, il maudit le jour de sa naissance. On s’attendrait à ce que le chant de louange de Jérémie mette fin au doute, aux plaintes, mais ce n’est pas le cas. Comment comprendre ce chant de louange au milieu des plaintes, de la souffrance ? N’est-ce pas un peu hypocrite de la part de Jérémie d’affirmer que Dieu est son héros alors que juste avant et juste après il crie son désespoir ? Le prophète ne cède-t-il pas ici à l’« évangéliquement correct » ?

7. Le geste au secours de la foi

Derrière cette apparente contradiction se cache la deuxième grande leçon de notre passage : Quand nous n’en pouvons plus, quand nous n’avons plus de mots, nous pouvons toujours décider de chanter notre foi.

Au cœur de la nuit, dans l’incompréhension totale, Jérémie proclame sa foi. Rien ne va, mais il loue. Se sentant abandonné, il déclame la présence de Dieu. Il dit le salut de Dieu alors que tout s’effondre. Il parle de ses ennemis honteux, alors que c’est lui qui est dans la honte. La force de Jérémie, c’est d’être vrai jusqu’au bout, de tenir ensemble le cri de doute et le chant de la foi, une plainte de désespoir et un psaume d’espérance.

Le chant de Jérémie ressemble en effet à un psaume. Comme si, au plus profond de son désespoir, Jérémie affirmait sa foi en Dieu en récitant le psaume d’un autre, peut-être un chant appris dans son enfan

ce. Il s’approprie les paroles d’un autre quand les mots lui manquent.

Il nous arrive à tous des moments semblables où, traversés de doutes, tiraillés par l’épreuve, nous venons quand même au culte, même si le cœur n’y est plus. Nous chantons la fidélité de Dieu, mais, au fond de nos cœurs, le doute et l’incompréhension règnent. Lâche hypocrisie ? Je ne crois pas.

Parfois, quand le cœur n’y est plus, restent le chant et les paroles d’un autre. Nous nous sentons secs, vides. Alors ces chants et ces gestes adressés à Dieu sont autant de remparts contre la chute dans l’absurde, dans un monde où plus rien n’a de sens. Nous proclamons ce que nous voulons continuer à croire même si, pour un temps, nous n’arrivons pas à le vivre. Ce n’est pas de l’hypocrisie, au contraire : si nous nous réunissons entre croyants, n’est-ce pas justement pour cela ? Nous savons bien que, tout seul, nous ne tiendrions pas la longueur ! Nous avons besoin des autres à nos côtés lorsque nous tombons, nous avons besoin de ces gestes, de ces paroles, pour rester debout, pour tenir jusqu’à la fin de la tempête.

La véritable hypocrisie serait de faire croire à Dieu et aux autres que tout va bien, et de refuser à tout prix que quelqu’un puisse savoir que nous traversons une crise.

8. Ce que nous apprend Jérémie

Le sombre tableau peint par Jérémie peut paraître déprimant. Que nous apprend-il ?

D’abord, il y a pour le croyant des moment obscurs où nous avons l’impression que plus rien n’a de sens, que Dieu se tait alors que justement nous avons tellement besoin de lui.

Ensuite, Jérémie nous donne l’exemple de quelqu’un qui, malgré ses souffrances, est toujours resté en relation avec Dieu. Il a su rester vrai, honnête, sans cacher ses doutes.

Enfin, Jérémie nous apprend que dans les périodes de doutes, nous pouvons nous appuyer sur ce que nous vivons dans l’Église. Le prophète souffre et déprime, mais chante un psaume de confiance. Et la proclamation de cette vérité l’aide à tenir debout. Nous avons besoin des autres, de leurs paroles, de leurs chants, de leur présence, pour tenir la longueur.

9. Un Dieu abandonné

Il y a cependant une chose que Jérémie ne connaissait pas encore. Il ne savait pas que le Dieu Tout-puissant allait lui aussi connaître la souffrance, les insultes et l’abandon. Que son Dieu allait lui aussi être attaché à un poteau – une croix – après avoir été battu. Et que la nuit tomberait aussi sur son supplice : une nuit extérieure, sur toute la terre, mais aussi une nuit intérieure.

Jésus, cloué sur sa croix, entouré par la nuit, battu, insulté, crie à Dieu. Il lui pose cette question terrible, la même que celle de Jérémie : « Mon Dieu, mon Dieu… Pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mat 27.46). Comment Dieu fait homme peut-il être abandonné de Dieu ? Nous ne pouvons pas le comprendre complètement, mais nous pouvons le recevoir comme un cadeau d’amour. Oui, Dieu s’est fait homme en Jésus. Il s’est fait tellement proche de nous qu’il a accepté de passer à travers le même abandon et les mêmes questions que nous.

Et l’histoire ne s’arrête pas là ! Jérémie a été détaché de son poteau, il a continué sa route, son ministère. Il a tenu bon. Alors qu’il allait mourir, Jésus a pu dire à Dieu : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » (Luc 23.46). Trois jours plus tard, celui qui avait vécu l’abandon de Dieu ressuscitait, puis montait au ciel et s’asseyait pour toujours à la droite de Dieu !

Oui les ténèbres existent, mais « Dieu qui a dit : La lumière brillera du sein des ténèbres ! a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu sur la face de Christ » (2 Cor 4.6).

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Richir David
Marié et père de deux enfants, David Richir vit et enseigne en Suisse romande. Après avoir été pasteur pendant plusieurs années à Morges, il partage aujourd’hui son temps entre un poste d’enseignant à l’Institut biblique et missionnaire Emmaüs et un travail de doctorat en recherche biblique à l’université de Fribourg.