Dossier: Egaux mais différents
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« Où sont les hommes ? » Débora et Jaël (Juges 4-5)

L’article qui suit est adapté d’un livre de Daniel Arnold, Le livre des Juges, ces mystérieux héros de la foi, récemment réédité par les éditions Emmaüs. L’ouvrage présente une analyse détaillée du livre biblique, avec une approche souvent originale, qui nous amène à renouveler notre vision de ces hommes de foi. Nous recommandons la lecture de cet ouvrage. Daniel Arnold est professeur à l’Institut biblique Emmaüs, à Saint-Légier, en Suisse ; il est membre du comité de rédaction de Promesses.

Une femme juge

Au moment où s’ouvre le chapitre 4 du livre des Juges, c’est une femme, Débora, qui est à la tête de l’État. Voilà de quoi surprendre. Si on exclut l’abominable reine Athalie, salie à jamais par son acharnement à détruire la lignée messianique pour usurper le trône royal (2 Rois 11.1-16), la situation de Débora est unique. Elle est la seule femme mentionnée dans les Écritures qui ait été un leader politique. Lorsqu’on est sensible aux innombrables enseignements bibliques sur les rôles respectifs de l’homme et de la femme, la position de Débora à la tête de la nation ne peut que refléter un malaise profond. La situation est anormale, les équilibres brisés, l’harmonie rompue. Péché il y a, mais à qui la faute : usurpation féminine ou irresponsabilité masculine ?

Aucun doute n’est permis : Débora est exempte de tout blâme. La femme de Lappidoth se situe à l’opposé d’une militante d’un mouvement féministe : aucune contestation des rôles n’apparaît chez elle. Chef de la nation, elle ne cherche aucune gloire personnelle. Devant une victoire assurée (car Dieu a promis de libérer Israël), consciente que la gloire rejaillira sur le vainqueur, elle préfère s’effacer et appeler un homme pour prendre le commandement des forces armées (Jug 4.6-7).

Mais voilà : Barak, l’appelé, hésite. Indigne de la gloire du héros, il devra laisser les honneurs du champion à quelqu’un d’autre, à une personne animée d’une foi exemplaire : en l’occurrence, à une autre femme (Jaël). Bien qu’étant le meilleur des hommes de sa génération (Débora ne l’a-t-elle pas choisi ? n’est-il pas le seul homme cité en exemple en Juges 5), Barak est frappé du mal rongeant la gent masculine de son époque : hésitation, tergiversation, vacillement, flottement, tâtonnement, renoncement. La lâcheté masculine pousse Débora à « porter les pantalons ». Aucune usurpation, simplement un vide à remplir, temporairement, puisqu’à tout moment elle est prête à s’effacer.

Une femme prophétesse

Dans le texte hébreu (Jug 4.4), Débora est présentée dans l’ordre comme (1) femme, (2) prophétesse, (3) femme de Lappidoth, (4) juge. En plaçant la qualification de juge en fin de liste, l’auteur veut attirer l’attention sur deux particularités. Avant d’être juge, Débora est une femme, et une femme mariée : dans le poème du chapitre 5, on parlera même de mère (5.7). D’autre part, Débora est prophétesse. Son statut de femme et son ministère prophétique précèdent chronologiquement son appel de juge. Ainsi, avant la libération, les hommes venaient déjà vers la femme de Lappidoth pour être guidés.

Débora est femme et elle est prophétesse. En tant que prophétesse, elle va exercer son ministère de juge essentiellement par la parole. Elle ne marche pas au devant de l’ennemi, comme Othniel et Ehud, les deux premiers juges, l’avaient fait, mais elle siège sous un palmier, recevant ceux qui viennent lui demander conseil. Assise comme les maîtres, elle dispense un enseignement. Même pour donner le coup d’envoi de la libération d’Israël, elle ne quitte pas son poste, mais envoie un simple courrier mandater Barak. Finalement, lorsqu’elle quitte temporairement son statut sédentaire pour rejoindre les troupes, ce n’est que pour soutenir verbalement un homme.

Barak reçoit un ministère très différent. Il doit se déplacer, rassembler les troupes, monter contre l’ennemi et le combattre. Alors que les paroles de Débora sont abondantes (tout le psaume du ch. 5 lui est attribué) et exquises comme le miel (Débora signifie abeille), les propos de Barak sont brefs et décevants : ils reflètent un homme irrésolu et craintif. Contrairement à Débora, il porte mal son nom (Barak signifie éclair) : lent à obéir, sa lumière est pâle et son action sans éclat. La gloire ira à quelqu’un d’autre.

Puisque Barak refuse de s’engager sur la seule base des promesses divines, la gloire du héros lui est refusée. Débora prophétise que l’Éternel livrera Sisera, l’ennemi du moment, entre les mains d’une femme — sans révéler pour le moment de qui il s’agit.

Une femme d’action courageuse

Débora discerne ensuite le jour de l’intervention divine et l’annonce à Barak (4.14). L’intervention divine met l’armée de Sisera en déroute et Sisera s’enfuit. Il s’arrête au domicile de Héber dans l’espoir de trouver de l’aide. Jaël, la femme de Héber, vient à sa rencontre et l’invite chez elle. Sisera, une fois repu, avant de s’endormir de fatigue, lui demande de fonctionner comme garde et de mentir pour tromper l’ennemi. En fidèle servante soumise à son maître, Jaël va s’exécuter sans une parole, mais comme son maître est Dieu et non Sisera, elle va frapper celui qu’elle a déjà trompé. Le renversement est total.

Le moment tant attendu est arrivé. Sisera meurt des mains d’une femme, comme annoncé par la prophétie de Débora (Jug 4.9,21). Son action est louée : « Bénie soit entre les femmes Jaël, femme de Héber, le Kénien ! Bénie soit-elle entre les femmes qui habitent sous les tentes ! » (Jug 5.24) De toutes les femmes, seule la mère de Jésus a reçu un tel témoignage (Luc 1.42).

L’action conjuguée de Débora et Jaël procure la paix au peuple de Dieu. Jaël, la chèvre des montagnes (c’est le sens de son nom), et Débora l’abeille redonnent vie à Israël, un pays où coulent le lait et le miel. Plus jamais une coalition cananéenne ne montera contre Israël.

Barak d’un côté, Débora et Jaël d’un autre, représentent tout un peuple : une nation où les hommes hésitent et les femmes s’engagent, une génération où les petits encouragent les grands au combat.

Où sont les hommes ?

La situation de nos églises rappelle ce temps lointain des Juges. Les hommes sont trop souvent absents, peu engagés ou craintifs. Dieu a néanmoins soin de son peuple et suscite des femmes de piété et de courage pour relever son œuvre. Ce n’est certainement pas à la gloire des hommes. Au lieu de critiquer une place qu’ils trouvent parfois indue, qu’ils prennent la leur en reconnaissant les dons que Dieu confie à leurs sœurs dans la foi.

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Dossier : Egaux mais différents
 

Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.