Dossier: Foi et société
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Vivre dans un état laïque

Le débat sur la laïcité rebondit régulièrement en France. Sans remonter aux querelles qui ont agité le pays lors de la séparation entre l’Église et l’État en 1905, la présence croissante d’une minorité musulmane de plus en plus visible suscite régulièrement des polémiques : une jeune fille portant le voile islamique doit-elle l’enlever en classe ? faut-il tolérer la burqa dans les lieux publics ? la construction d’une mosquée est-elle une menace ?

En application du principe de l’égalité de traitement entre les religions, des textes ou des règlements sont édictés, ce qui entraîne des conséquences pour les chrétiens, alors même qu’ils ne sont pas directement visés. Alors la laïcité « à la française » est-elle biblique ? Y a-t-il d’autres formes de gouvernement préférables d’un point de vue biblique ? Comment vivre et témoigner au milieu des évolutions actuelles ? Tels sont quelques sujets que cet article cherche à esquisser. Le point de vue est français, dans le sens où la réponse à ces questions n’est pas forcément unique et dépend largement du contexte historico-politico-social dans lequel on vit.

Quatre principes du N.T. sur les relations entre l’État et le chrétien

1. La distinction

En réponse à une question posée par les pharisiens et les hérodiens, Jésus touche la question des relations entre l’Église et l’État et prononce une phrase devenue proverbiale : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (lire Matt 22.15-22) Rappelons le contexte : les représentants de ces deux partis antagonistes (l’un collaborationniste, l’autre résistant à l’occupant) s’allient pour contrer Jésus : « Est-il permis ou non de payer le tribut à César » ? Si le Seigneur répondait « oui », les pharisiens l’auraient accusé d’être un collaborateur ; s’il répondait « non », les Hérodiens l’auraient livré aux Romains. Jésus sort évidemment par le haut, de façon très simple et déroutante. Le denier portant l’effigie de César que les uns et les autres utilisent suffit à les ramener à leur devoir civique (dont le juste paiement de l’impôt) ; mais ce dernier n’exonère pas de remplir aussi son devoir religieux. La distinction entre les deux domaines (l’État et Dieu) est donc directement enseignée par Jésus ; chacun d’eux a ses exigences. L’Église ne vise pas à supplanter l’État ou à le soumettre, mais à obéir à Dieu.

2. La soumission

Les chrétiens sont avant tout des citoyens du ciel (Phil 3.20) ; pour autant, ils sont aussi temporairement des citoyens d’un état terrestre. À ce titre, la Bible enjoint aux chrétiens de respecter un autre principe, la soumission aux autorités : « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. » (Rom 13.1-2) Rappelons le contexte dans lequel Paul écrit : l’autorité instituée par Dieu à l’époque était le cruel empereur Néron, qui allait peu après déclencher une violente persécution envers les chrétiens ! Notre soumission ne doit donc pas être fonction de la forme de gouvernement ou de la façon dont il est exercé.

Le fait que l’autorité de l’État existe sur la terre par la volonté permissive de Dieu ne signifie cependant pas que Dieu approuve tout ce que fait une autorité en place ; et cette autorité aura à répondre de ses actes devant le Créateur.

3. L’intercession

Le premier devoir civique du chrétien est l’intercession pour les autorités en place. Toujours sous Néron, Paul écrit : « J’exhorte donc, avant toutes choses, à faire des prières, des supplications, des requêtes, des actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. Cela est bon et agréable devant Dieu notre Sauveur qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1 Tim 2.1-3) Le but de cette prière n’est pas de vivre à notre aise, mais premièrement de disposer d’un contexte favorable pour notre vie chrétienne personnelle et collective et pour l’évangélisation.

4. La limitation

Mais un État ne respecte pas toujours la volonté de Dieu. L’autorité de l’État sur le chrétien est soumise à une limitation. Pierre et les apôtres, face au sanhédrin1, répondirent hardiment : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (Act 5.29) Au cours de l’histoire, les chrétiens ont parfois été conduits à suivre ce principe. Citons tous ceux qui ont caché des enfants juifs au péril de leur vie au cours de la dernière Guerre mondiale. Toutefois prenons garde de ne pas utiliser ce verset comme un prétexte pour désobéir à telle loi ou tel règlement qui ne nous plaît pas !

Les divers types d’État

La Bible n’indique pas de forme de gouvernement idéal ; elle pointe avant tout vers le royaume parfait de Christ sur une terre renouvelée. Entre temps, elle nous invite à vivre les quatre principes mentionnés plus haut quel que soit le type de gouvernement. Au risque de schématiser, on peut distinguer quatre sortes d’états dans le monde :

a. Les états laïques

Aucune religion n’est privilégiée ; l’État est le garant de la liberté de culte (sous réserve de non-atteinte à l’ordre public), mais il ne prend pas parti et ne finance pas les ministres du culte. C’est le régime que connaît la France2.

A priori, ce type d’état respecte la foi chrétienne et présente l’avantage de ne pas faire de confusion entre la sphère de l’État et celle de l’Église. Par exemple, le mariage civil est clairement indépendant de la bénédiction chrétienne.

b. Les états de confession chrétienne

L’État se définit comme régi par des principes chrétiens et le gouvernement se voit comme directement institué par Dieu. Pendant des siècles, ce fut le cas des États européens. Des réminiscences en restent au Royaume-Uni, en Suisse ou aux États-Unis (où le Président prête serment sur la Bible au début de son mandat).

Ce type de gouvernement favorise la foi chrétienne. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas selon nous le régime idéal pour le chrétien. L’histoire abonde hélas en dérives à la honte du christianisme. Qu’il suffise de mentionner les persécutions des huguenots en France par le roi « très-chrétien » qui assistait à la messe chaque jour tout en étant publiquement adultère, les excès de la Genève de Calvin, la déconsidération du mouvement évangélique liée à la politique extérieure de George W. Bush, etc.

c. Les états athées

Ce troisième type de régime est plus dangereux pour les chrétiens : la vie d’église est — au mieux — tolérée lorsqu’il y a déjà une culture chrétienne, mais elle est alors contrôlée ; l’évangélisation est difficile et périlleuse. La Chine en fait partie et la Corée du Nord en est actuellement un exemple extrême.

d. Les états de confession non chrétienne

Cette quatrième sorte est généralement pire que la troisième ; dans certains pays, il n’est même pas question de construire une église ; le fanatisme ambiant met les chrétiens en péril à tout instant. L’évangélisation publique n’est tout simplement pas envisageable. L’Arabie Saoudite fait partie de tels états.

Pour autant, comme sous la Rome de Néron ou de Domitien, l’Église du silence grandit et se développe dans ces deux derniers types d’états, validant encore et toujours la fameuse phrase de Tertullien : « Le sang des martyrs est la semence de l’Église. »3 En revanche, la tiédeur, le mélange, la compromission sont trop souvent le lot des chrétiens des deux premiers régimes.

Mais notre obéissance à la Parole de Dieu n’est pas conditionnelle à nos circonstances, même si sa forme doit nécessairement s’y adapter. Cherchons donc à vivre comme des témoins vivants de Jésus-Christ, citoyens obéissants et lucides, qui attendent l’État idéal, la monarchie absolue éclairée que sera le royaume établi sur terre par Christ à son retour.

Vivre dans un état laïque

Dans un État laïque, le christianisme ne s’impose pas. Remarquons que Jésus n’a jamais imposé de croire en lui. Après que plusieurs de ses « disciples » l’ont abandonné, Jésus dit aux douze : « Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ? Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Et nous avons cru et nous avons connu que tu es le Christ, le Saint de Dieu. » (Jean 6.67-69) La foi ne s’impose pas par la force étatique extérieure, mais est produite par une conviction personnelle intérieure.

En France, le débat sur la laïcité n’est pas sans conséquence :

– La liberté de culte est pour le moment préservée, à condition de rester discrets. Les autorités sont en général favorables pour protéger les lieux de culte. Sachons faire preuve de sagesse, sans pour autant cacher notre drapeau.

– L’évangélisation publique devient de plus en plus difficile. Par exemple, la distribution des N.T. par les Gédéons à la sortie des lycées ou des universités est parfois interrompue par la police ; des autorisations pour obtenir un stand biblique sur une foire sont refusées ; les aides publiques pour des centres de vacances chrétiens sont supprimées, etc. Là encore, demandons au Seigneur de nous guider pour savoir comment agir de façon opportune en faveur de l’Évangile (cf. Luc 21.14-15).

– À l’école, on introduit « l’enseignement critique des religions » (selon le rapport Stasi), alors que jusque-là le sujet était plutôt évité. Cela nous oblige à un effort de défense argumenté de notre foi vis-à-vis de nos enfants.

– Les mentalités sont de plus en plus modelées par une méfiance envers la religion : à chacun sa croyance, mais à condition de la maintenir dans le cadre strictement privé. Notre foi est évidemment personnelle, mais elle peut aussi, selon le cas, s’exprimer de façon publique. Ne manquons-nous pas parfois à utiliser le « courrier des lecteurs » pour faire part de la façon dont la Bible s’applique à tel sujet d’actualité ?

– Les signes ostensibles de religion sont de moins en moins tolérés. Pour le chrétien, cette évolution suit l’enseignement du N.T. : Jésus a vertement critiqué les scribes et les pharisiens « qui portent de larges phylactères4, et ont de longues franges à leurs vêtements » (Matt 23.5) ; en revanche, nous sommes exhortés à revêtir les qualités morales de Christ et pas un voile ostensible (1 Pi 3.3 ; Col 3.12).

Et par dessus tout, souvenons-nous que ce n’est pas une religion que nous devons défendre ou annoncer, mais une personne vivante et puissante, Jésus, qui transforme les cœurs !

1 Le sanhédrin était avant tout une institution religieuse. Toutefois, le pouvoir romain en place lui déléguait également une partie de l’autorité politique et judiciaire, en particulier dans le cadre du Temple à Jérusalem. Il avait une garde spéciale qu’il a utilisée pour arrêter Jésus. Voir Alfred Edersheim, The life and the times of Jesus the Messiah, Hendrickson, 1999, p. 857-858.
2 Cette laïcité est à distinguer d’une approche plus doctrinaire, qui a surtout fleuri en France à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, avec les « laïcards », partisans d’une laïcité absolue et anti-religieuse.
3 Tertullien, Apologétique, ch. L, v. 13.
4
Bandes de parchemin sur lesquels sont inscrits des versets de la loi de Moïse, placés dans des boîtes ou des étuis attachés par des lanières sur le bras ou sur le front.

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Prohin Joël
Joël Prohin est marié et père de deux filles. Il travaille dans la finance en région parisienne, tout en s'impliquant activement dans l’enseignement biblique, dans son église locale, par internet, dans des conférences ou à travers des revues chrétiennes.