Dossier: L’Épître aux Hébreux
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Les deux avènements

24 Car Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, en imitation du véritable, mais il est entré dans le ciel même, afin de comparaître maintenant pour nous devant la face de Dieu. 25 Et ce n’est pas pour s’offrir lui-même plusieurs fois qu’il y est entré, comme le souverain sacrificateur entre chaque année dans le sanctuaire mais pour offrir un autre sang que le sien ; 26 autrement, il aurait fallu qu’il ait souffert plusieurs fois depuis la création du monde; mais maintenant, à la fin des siècles, il a paru une seule fois pour effacer le péché par son sacrifice. 27 Et comme il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement, 28 de même Christ, qui s’est offert une seule fois pour porter les péchés de beaucoup d’hommes, apparaîtra sans péché une seconde fois à ceux qui l’attendent pour leur salut.
(Hébreux 9.24-28)

Lorsqu’on évoque l’avènement de Christ, on pense plus naturellement à son retour en gloire. Or le dernier verset d’Hébreux 9 souligne la dualité de l’avènement de Jésus : il est venu et il reviendra. Entre les deux avènements, il y a des ressemblances et des différences, dont nous allons exposer brièvement la portée pour nous.

Des différences

Une venue pour les péchés et une venue sans péché

L’auteur de l’Épître aux Hébreux met l’accent sur le contraste entre la première venue de Christ « pour les péchés » et sa seconde venue, « sans péché ».

• Le premier avènement a eu comme objet principal, sinon unique, le traitement du problème du péché. L’ange l’avait d’ailleurs expliqué dès la communication du nom que le Sauveur devait porter : « Tu lui donneras le nom de Jésus ; c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » (Mat 1.21) Le péché, d’après l’attestation scripturaire constante, est le problème entre Dieu et les hommes, entre les hommes entre eux et à l’intérieur de la propre nature des hommes. Le péché est le détournement dont nous nous sommes rendus coupables à l’égard de Dieu en lui refusant la reconnaissance (dans son double sens de gratitude et de confession) de sa souveraine bonté. Or notre tendance spontanée est d’esquiver le péché et de reporter sur quelque autre facteur la causalité de ce qui ne va pas dans notre monde et en nous-même. Nous cherchons de fausses excuses et écartons la pointe de l’accusation. Cette tendance apparaît dès l’aube de l’histoire humaine et elle est toujours vivace. Il me semble que notre culture contemporaine accroît encore la force de cette tentation.

Le péché est donc la réalité qu’il fallait traiter en priorité pour que la situation de l’humanité par rapport à Dieu puisse être améliorée. L’heure pour laquelle Christ est déjà venu est celle de la croix, la croix sur laquelle il a ôté le péché du monde. Les Évangiles sont en quelque sorte des préfaces pour le récit de la croix qui y tient une place majeure, tout à fait à l’opposé des traditions littéraires des biographies de l’Antiquité. Et cela parce que Jésus-Christ est venu « pour le péché ».

Une grave dérive menace la foi évangélique lorsque le péché, avec la solution apportée par la croix à ce problème, cesse d’être au centre de la prédication. Si l’exemple de Jésus-Christ est mis avant son œuvre pour nous, si l’incarnation devient plus centrale que l’expiation, ce n’est déjà plus tout à fait la bonne nouvelle qui retentit ; la dérive est indubitable. C’est comme si le problème majeur était la différence entre la nature divine et la nature humaine, la distance entre le ciel et la terre. Or cette distance existait déjà en Éden, dans l’harmonie du premier rapport que Dieu avait institué par sa création ; ce n’était pas et ce n’est pas en soi un problème. Le vrai problème est le mésusage et l’abus de sa liberté qu’a fait la créature : le péché.

• Le second avènement sera « sans péché » (litt.). Cette mention signifie d’abord la pleine et définitive efficacité de la croix. C’est « une fois pour toutes » que Jésus-Christ a porté les péchés. « Tout est accompli » à cet égard, comme il l’a crié lui-même. Et s’il revient « sans péché » (9.28), c’est qu’il n’y a plus de problème du péché à résoudre. Il y a apporté, en donnant sa vie, en versant son sang, une solution définitive, sans besoin d’aucun complément ou d’aucune répétition. Le mal est déjà totalement vaincu. Le second avènement inaugurera la manifestation de cette victoire déjà acquise. Il sera possible à ce moment-là de voir toute la portée de la croix, qui a commencé à être mise en évidence par la résurrection et qui continue de l’être dans la vie de ceux qui reçoivent l’Esprit du Ressuscité. Mais la pleine élimination du mal — nous le savons assez ! — doit attendre le second avènement.

Il me semble que ce que l’Écriture nous révèle — si solennellement que nous ne pouvons pas l’atténuer — du châtiment éternel qui attend ceux qui se seront fermés à cette bonne nouvelle, doit être compris d’une façon qui respecte la plénitude de la victoire remportée lors de la première venue de Jésus-Christ. Rien ne soutient, dans l’Écriture, l’idée, devenue assez commune, que les réprouvés grinceraient des dents contre Dieu, qu’ils persisteraient ainsi dans la révolte et la porteraient au paroxysme. Au contraire, le temps de la patience passé (cette tolérance inouïe de Dieu), ils ne peuvent plus narguer le Seigneur par qui seul ils ont l’être, ils ne peuvent plus pécher. En subissant leur jugement, ils satisfont la justice divine — qu’ils reconnaissent désormais, comme l’enseignent Phil 2.11 et Col 1.20 (où la « réconciliation » ne signifie pas le salut mais la remise en ordre pacifiée : la fin de la guerre par la totale victoire de Dieu). Le grincement des dents doit sans doute être compris du remords total qui est le leur1.

Une venue en faiblesse et une venue en puissance

• À cause de sa mission d’Agneau de Dieu portant les péchés du monde, Jésus-Christ est venu en faiblesse, dans la misère. Il a renoncé à faire usage contre ses ennemis de sa puissance royale. Il s’est abstenu d’engager les légions d’anges qui étaient à sa disposition pour sortir du mauvais pas (Mat 26.54). Jésus a choisi la voie de la pauvreté ; il est venu pour servir et donner sa vie.

• Mais sa seconde venue sera dans sa gloire. L’éclat de son avènement foudroiera l’adversaire : « Le Seigneur Jésus apparaîtra du ciel avec les anges de sa puissance, au milieu d’une flamme de feu, pour punir ceux qui ne connaissent pas Dieu et ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile de notre Seigneur Jésus. » (2 Th 1.7-8) « Il les paîtra avec une verge de fer, comme on brise les vases d’argile. » (Apoc 2.27)

À cause de la forme qu’a prise la première mission de Jésus-Christ, certains s’imaginent qu’il faut renverser le concept de pouvoir. Comme ce concept n’est pas bien reçu parmi les intellectuels de notre génération, ils saisissent l’occasion de suggérer que l’humilité de Jésus lors de sa première venue représente un refus du pouvoir comme tel. Or la lecture de l’ensemble du N.T. ne soutient pas cette vue. Si Jésus-Christ est venu dans la faiblesse, non pas pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui (Jean 3.17), sans faire usage de sa force, c’était la sagesse mystérieuse et cachée du Seigneur pour l’expiation des péchés. Après cela, il a dit : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. » (Mat 28.18) Et il exercera ce pouvoir lors du second avènement. Son exercice sera un service, car il usera de sa force pour le bien. Mais ce n’est pas un changement du concept : c’est une voie mystérieuse, unique, que la sagesse inouïe de Dieu a conçue pour que le mal commis envers le Saint et le Juste soit la victoire même sur le mal.

Une venue voilée et une venue visible

• Une autre différence concerne la façon dont il « apparaîtra » (litt. « sera vu »). Certes Jésus a bien été vu par ses contemporains lorsqu’il a prêché aux foules, guéri des malades, circulé sur les routes de Galilée… Mais son humilité même, sa chair faible, ont été comme un voile pour la plupart de ses contemporains — et même une occasion de chute. De sorte qu’ils n’ont pas vu qui il était réellement.

• En contraste, lors du second avènement, il « sera vu » dans sa gloire de Fils de Dieu, Seigneur des seigneurs et Roi des rois. Il sera vu, là où il n’avait été qu’entrevu par certains à qui cela avait été donné. « Ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux », a dit Jésus à Pierre quand ce dernier a eu l’intuition juste de la véritable identité de Jésus (Mat 16.17). La plupart se sont achoppés à l’apparence. Nous-mêmes le voyons par le regard de la foi, mais cette vue est à travers bien des brumes et des obscurités. Nous l’aimons quand même, sans l’avoir vu (1 Pi 1.8). La foi n’est pas encore la vue. Le second avènement sera enfin la vision vers laquelle nous languissons : « Nous le verrons tel qu’il est » dans sa gloire (1 Jean 3.2). « Tout œil le verra » (Apoc 1.7) mais Hébreux souligne qu’il sera vu en particulier de ceux qui l’attendent pour leur salut, qui ne l’auront jusque là qu’entrevu par la foi et qui seront comblés par la vision qui leur sera accordée. C’est là notre espérance. Un chant d’enfant dit : « Je sais qu’un jour mes yeux verront Jésus ». Un brave chrétien se trompait et chantait : « Je sais qu’un jour mes yeux verra Jésus ». Sans le vouloir, il énonçait une profonde vérité : « Jésus verra nos yeux. » Non seulement nous le verrons de nos yeux, mais lui aussi plongera son regard dans nos yeux à nous et nous dira peut-être, comme Pascal l’imaginait : « J’ai versé telles gouttes de sang pour toi. »<sup<2

Des ressemblances

Au-delà des différences entre les deux avènements, il y a aussi des ressemblances qui méritent d’être soulignées.

Deux venues personnelles

Jésus est venu dans notre temps et dans notre espace, comme un individu humain, avec un corps. Il reviendra comme un individu humain. Notre espérance est l’attente d’une venue corporelle et personnelle de Christ.

Ne réinterprétons pas ce qui est dit du futur avènement comme un symbole réconfortant qui pourrait orienter la vie, mais qui n’aurait pas de réalité littérale. Son retour n’est pas un mythe, une figure de style : c’est celui de l’homme Jésus.

Deux venues au temps fixé par le Père

La première venue de Christ a eu lieu à un moment bien défini de l’histoire. Les promesses se sont accomplies selon le calendrier de Dieu. Son second avènement aura lieu à un moment tout aussi défini, que Jésus, dans les jours de son humiliation, a déclaré ne pas connaître lui-même (Mat 24.36).

Hébreux 10.38 interprète les versets d’Habakuk2 en marquant un temps fixé : « Encore un peu, un peu de temps : celui qui doit venir viendra, et il ne tardera pas. » La vision se réalisera finalement par l’avènement de Jésus3. Nous devons attendre ce temps fixé avec la patience et la persévérance de la foi (« le juste vivra par la foi »), même s’il paraît tarder.

Il en fut de même pour le premier avènement. Certaines prophéties pouvaient laisser penser que la venue du Messie aurait lieu beaucoup plus tôt : par exemple, à la lecture d’Ésaïe 40 à 66, il ne semble pas que les deux serviteurs de l’Éternel — Cyrus et le vrai Serviteur qui va libérer spirituellement le peuple — soient séparés par plus de cinq siècles ! Au calendrier de Dieu, il y avait là un espace de temps qui n’était pas spécifiquement indiqué dans les prophéties d’Ésaïe. Il faut attendre Daniel 9 pour le comprendre. Ceux qui attendaient le Messie ont donc dû patienter, rester fermes dans la foi.

Plusieurs paraboles du Seigneur avertissent que le laps de temps entre les deux avènements pourra paraître long. Pierre parle de « moqueurs » qui railleront ce délai. Après presque 2000 ans, nous constatons la nécessité de la patience. La victoire est acquise ; nous avons une pleine assurance de cette seconde venue « sans péché », mais nous ne maîtrisons pas le calendrier. Nous avons à nous placer dans la même attitude que ces croyants qui, sur la base des promesses de l’A.T. attendaient le Messie.

Dans ce temps de patience, des « signes » nous sont donnés. Ils ont commencé à être visibles dès la génération du ier siècle : « Cette génération ne passera point, que tout cela n’ait commencé à arriver. »4 (Mat 24.36) Ces signaux révèlent que notre vieux monde n’est qu’en sursis ; ils nous encouragent dans l’attente, sans nous fixer de date précise. Sans doute les verra-t-on s’intensifier au moment final ; mais il serait illusoire de prétendre connaître « le jour et l’heure ». Attendons avec confiance, en recevant les signes qui nous sont nécessaires pour faire face à l’adversité.

Le second avènement est proche et, comme les Juifs pieux qui attendaient « la consolation d’Israël » et vivaient d’une façon intègre, soyons de ceux qui attendent la venue glorieuse de notre Seigneur et Maître qui nous regardera avec amour face à face.

1 Pour bien entendre ce message de la fin du péché, je crois approprié de l’associer à un autre trait du châtiment éternel : la fixité de cette forme d’existence, selon qu’elle est seconde mort. 2 Blaise Pascal, Pensées, 553. 3 La vision qui doit venir chez Habakuk est interprétée par l’auteur d’Hébreux comme la venue d’une personne : « celui ». 4 Traduction littérale de l’aoriste ingressif du verbe « arriver ».

 

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  1. Pour bien entendre ce message de la fin du péché, je crois approprié de l’associer à un autre trait du châtiment éternel : la fixité de cette forme d’existence, selon qu’elle est seconde mort.
  2. Blaise Pascal, « Pensées », 553.
  3. La vision qui doit venir chez Habakuk est interprétée par l’auteur d’Hébreux comme la venue d’une personne : « celui ».
  4. Traduction littérale de l’aoriste ingressif du verbe « arriver ».
Dossier : L’Épître aux Hébreux
 

Blocher Henri
Henri Blocher est ancien professeur de théologie systématique au Wheaton College aux États-Unis et à la faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine en France. Il est l’auteur de très nombreux articles et plusieurs ouvrages.