Dossier: Ésaïe, l'évangile de l'Ancien Testament
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Les chants du Serviteur dans le Nouveau Testament

Cet article est inspiré par l’introduction d’un ouvrage publié uniquement en anglais, Songs of the Servant, IVP, qui développe un commentaire profond et riche de ces quatre textes d’Ésaïe.

« Voici, un Éthiopien, un eunuque, ministre de Candace, reine d’Éthiopie, et surintendant de tous ses trésors, venu à Jérusalem pour adorer, s’en retournait, assis sur son char, et lisait le prophète Ésaïe. L’Esprit dit à Philippe : Avance, et approche-toi de ce char. Philippe accourut, et entendit l’Éthiopien qui lisait le prophète Ésaïe. Il lui dit : Comprends-tu ce que tu lis ? Il répondit : Comment le pourrais-je, si quelqu’un ne me guide ? Et il invita Philippe à monter et à s’asseoir avec lui. Le passage de l’Écriture qu’il lisait était celui-ci : “Il a été mené comme une brebis à la boucherie ; et, comme un agneau muet devant celui qui le tond, il n’a point ouvert la bouche. Dans son humiliation, son jugement a été levé. Et sa postérité, qui la dépeindra ? Car sa vie a été retranchée de la terre.” L’eunuque dit à Philippe : Je te prie, de qui le prophète parle-t-il ainsi ? Est-ce de lui-même, ou de quelqu’un d’autre ? Alors Philippe, ouvrant la bouche et commençant par ce passage, lui annonça la bonne nouvelle de Jésus. » (Act 8.27-35)

Le premier disciple d’Afrique fut amené à Christ par le moyen d’un exposé biblique. Le ministre des finances d’Éthiopie avait été déjà attiré vers le judaïsme ; à travers l’explication de Philippe, il vint à comprendre à la fois le texte ancien qu’il était en train de lire et qui était Jésus.

Et qu’était-il, ce texte ? Puisque Luc le cite longuement dans son récit des Actes, il est aisé à reconnaître : c’était le passage si connu d’Ésaïe 52.13-53.12 qui décrit un mystérieux serviteur de l’Éternel, souffrant et triomphant. Ce texte est habituellement intitulé « le 4e chant du Serviteur », car il y a au moins trois autres passages dans la seconde partie du livre d’Ésaïe duquel il a été rapproché. Le premier de ces chants (És 42.1-9) commence par la même formule que le 4e (És 52.13-53.12) : « Voici mon serviteur » (És 42.1 ; 52.13). Le 2e (49.1-13) et le 3e (50.4-11) montrent des affinités marquées de langage et de pensée avec le premier et le 4e. Ils se réfèrent sûrement tous au même personnage et il ne serait pas incorrect de dire que le « passage » au sens large sur lequel Philippe a basé sa prédication était l’ensemble des chants du Serviteur.

Leur utilisation par Philippe (ou plutôt leur utilisation par le Saint-Esprit en faisant de Philippe son instrument) n’est pas un cas isolé. Cette histoire est plus que le récit d’un touchant incident : il est aussi une illustration significative de la façon dont l’Église primitive considérait ces passages prophétiques et de la place centrale qu’ils tenaient dans la pensée et le témoignage chrétiens, à une époque où la flamme de l’Esprit commençait à se répandre.

Le Serviteur dans la prédication apostolique

Voyez les preuves que nous donne l’Église de Jérusalem peu après la Pentecôte. En l’espace de deux chapitres, Jésus est appelé le Serviteur quatre fois (Act 3.13,26 ; 4.27,30). En fait, ce titre est tellement prééminent que certains commentateurs ont dit que la christologie — la doctrine de la personne de Christ — était alors premièrement une « paidologie » (de pais, le mot grec pour serviteur). Jésus fut prêché d’abord comme le Serviteur. Pierre donne un résumé clair de l’enseignement du 4e chant dans le discours courageux qu’il adresse à la foule : « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, qui était d’avis qu’on le relâche. Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez fait mourir le Prince de la vie, que Dieu a ressuscité des morts ; nous en sommes témoins. » (Act 3.13-15).

Encore abasourdis par la fantastique expérience qu’ils venaient juste de traverser à la Pentecôte, les disciples se sont reposés sur les prophéties du Serviteur comme sur une parole ferme qui annonçait par avance les faits de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus et qui révélait avec une clarté incomparable leur signification.

Quand le témoignage à Christ s’étendit aux non-juifs, le titre de « Serviteur » perdit la suprématie initiale ; nous ne le trouvons plus dans la suite des récits des Actes. Les titres « Christ », « Seigneur », « Fils de Dieu », furent utilisés à la place. Parce que ces titres étaient déjà utilisés dans le monde païen, ils étaient plus compréhensibles par des gens peu familiers de l’A.T. que le terme de « serviteur ». Le titre de « serviteur », plus qu’aucun autre, requiert une connaissance de l’arrière-plan vétéro-testamentaire pour être compris. Les écrits des apôtres, cependant, montrent que le thème du serviteur resta très important et que les chants du Serviteur jouèrent un rôle décisif dans la formation de la compréhension de Jésus par les chrétiens.

L’importance de ce thème peut être vue dans la Première Épître de Pierre, autant que dans son discours à Jérusalem. L’apôtre se base fortement sur le dernier chant du Serviteur. Pour aider ses lecteurs, dont la plupart étaient païens, il donne une interprétation de plusieurs versets, en les appliquant à la vie chrétienne : « Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces, lui qui n’a point commis de péché, et dans la bouche duquel il ne s’est point trouvé de fraude ; lui qui, injurié, ne rendait point d’injures, maltraité, ne faisait point de menaces, mais s’en remettait à celui qui juge justement ; lui qui a porté lui-même nos péchés en son corps sur le bois, afin que morts aux péchés nous vivions pour la justice ; lui par les meurtrissures duquel vous avez été guéris. Car vous étiez comme des brebis errantes. Mais maintenant vous êtes retournés vers le berger et le gardien de vos âmes. » (1 Pi 2.21-25)

Paul n’est pas moins dépendant des chants d’Ésaïe que ses collègues de Jérusalem. Dès sa visite à Antioche de Pisidie au cours de son premier voyage missionnaire, il se réfère au 2e chant du Serviteur comme étant accompli par son action missionnaire (Act 13.46-47 ; cf. És 49.6). Écrivant à l’Église à Rome, il cite la complainte d’Ésaïe : « Seigneur, qui a cru à notre prédication ? » (Rom 10.16 ; cf. És 53.1). De ce texte, il tire le principe que « la foi vient de ce qu’on entend », ce qui en retour donne un puissant motif pour prêcher Christ. Il tire encore du même chant du Serviteur son principe de se concentrer sur les champs missionnaires non encore évangélisés (Rom 15.20-21 ; cf. És 52.15). Dans tous ces cas, Paul justifie son activité missionnaire — une question brûlante pour lui personnellement.

Nous entendons un écho très clair des chants du Serviteur dans deux autres passages qui marquent des développements clés dans la théologie de Paul, dans la façon dont Paul comprend l’Évangile (« mon évangile », comme il pourra l’appeler). Le premier cherche à établir le grand parallèle et le grand contraste entre les deux Adam : entre le premier Adam et Christ, qui est le nouvel Adam (Rom 5.12-21). Dans ce passage, Paul met en contraste la rébellion fatale, la désobéissance de notre premier père, avec la soumission obéissante de Christ à la volonté du Père. En Christ, les hommes, quoique pécheurs, peuvent maintenant être « constitués justes ». Cette justification, ou cet acquittement, des « beaucoup », est le fruit d’un seul acte d’obéissance d’un seul homme, Jésus Christ. Et c’est précisément le message du dernier chant du Serviteur, qui utilise même des termes identiques : le Serviteur juste « justifiera beaucoup d’hommes » (És 53.11).

Paul met aussi l’accent sur l’obéissance de Christ (et l’obéissance est la caractéristique de tout serviteur) dans la célèbre hymne de Philippiens 2.5-11, qu’il a soit écrite lui-même, soit adaptée à sa lettre. Contrairement à Adam qui a convoité l’égalité avec Dieu, Jésus-Christ est venu pour servir. Il s’est humilié jusqu’à la mort même ; il a livré sa propre vie pour servir les autres. Parce qu’il a accepté ce chemin de souffrances, il a été élevé, exalté le plus haut possible. On pourrait presque se dire qu’on est en train de lire le dernier chant du Serviteur dans une autre version, tant les deux hymnes se ressemblent.

Encore et toujours, dans le N.T., nous rencontrons des citations ou des allusions aux chants du Serviteur. L’Évangile selon Matthieu à deux reprises, indique que des passages relatifs au Serviteur ont été accomplis dans le ministère de Jésus. Le premier est cité en relation avec ses miracles de guérison, qui sont un fruit de son sacrifice (Mat 8.17 ; cf. És 53.4). La seconde citation illustre le rejet par Christ de la publicité bruyante que le peuple voulait lui faire (Mat 12.15-21 ; cf. És 42.1-4). L’Épître aux Hébreux aussi souligne l’affirmation du prophète : « Il a porté le péché de beaucoup d’hommes » (Héb 9.28 ; cf. És 53.12). Et Jean, comme Paul, rappelle la prédiction d’Ésaïe sur l’endurcissement de cœur d’Israël (Jean 12.37-38 ; cf. És 53.1).

Jean rapporte aussi la phrase magnifique par laquelle Jean-Baptiste salua Jésus : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jean 1.29). Ce titre, « l’Agneau de Dieu », nous renvoie probablement à de nombreux « types » de Christ dans l’A.T. Mais il peut difficilement être séparé des chants du Serviteur qui comparent le Serviteur à une brebis soumise conduite à l’abattoir. L’Agneau de Dieu allait ôter (ou « prendre », les deux sens sont présents) le péché du monde ; le Serviteur allait supporter les péchés des coupables, les péchés de beaucoup. Il pourrait y avoir un jeu de mot dans le terme « Agneau », même si cette suggestion n’est pas très attestée : des érudits ont signalé que le même mot araméen talya’ peut signifier à la fois « agneau » et « serviteur ».

Cette avalanche de références bibliques devrait être suffisante pour notre démonstration : dans toutes les parties du christianisme néo-testamentaire, on trouve des passages sur le Serviteur qui sont une clef pour comprendre l’œuvre de Jésus.

Alors la question se pose : Comment cela se fait-il ? Pourquoi ces auteurs sont-ils si unanimes ? On pourrait répondre : « C’est simple, parce que c’est évident ! » Les descriptions d’Ésaïe collent si bien au Jésus historique qu’on ne peut pas faire autrement que les rapprocher.

Quand les yeux d’un aveugle sont ouverts, cependant, on doit souvent lui apprendre à voir, même ce qui semble évident. Les Évangiles montrent clairement que Pierre et les autres n’ont pas innové en appliquant les prophéties du Serviteur à Jésus. Jésus lui-même l’avait fait le premier. Pierre a juste suivi son Maître : il avait appris à voir.

Le Serviteur dans la compréhension de Jésus sur lui-même

Jésus fut le premier à voir que le Serviteur n’était autre que lui-même. C’est en faisant référence à la fonction et la personnalité du Serviteur qu’il a interprété sa propre messianité. La christologie de Jésus — la façon dont, comme Messie, il a vu sa propre personne et sa mission — a été résumée ainsi : Jésus a rejeté l’attente habituelle, matérialiste, du Messie ; sa vision était plutôt un mélange équilibré du concept messianique avec deux autres personnages décrits dans les pages de l’A.T.1

Le premier est le Fils de l’homme que Daniel vit en vision (Dan 7.13-14) : il y eut un être céleste, entrant dans la présence de l’Ancien des jours, le Dieu éternel lui-même, à qui le pouvoir royal, un pouvoir incorruptible, fut donné, c’est-à-dire la domination sans fin, contrairement à celle d’un roi terrestre.

L’autre figure était le Serviteur souffrant d’Ésaïe. Jésus comprit que le Christ, le Fils de l’homme et le Serviteur étaient une seule et même personne, lui-même. Beaucoup de ses contemporains juifs attendaient un Messie simplement humain, un autre David, un héros qui pourrait délivrer Israël de son joug politique sous les Romains. Jésus vit que le véritable Messie n’était pas seulement le Fils de David, comme le Messie royal devait l’être, mais aussi le Seigneur de David (Mat 22.41-45). Le chemin du triomphe pour ce Messie, par lequel son royaume éternel pourrait être établi, ne passait pas par des exploits militaires ; il vaincrait ses ennemis, comme Ésaïe l’avait prévu, en se livrant lui-même à une mort expiatoire.

Plus d’une fois au cours de son ministère, Jésus fit allusion aux chants du Serviteur. Une fois, Jacques et Jean réclamèrent le privilège de s’asseoir de chaque côté de Jésus quand il viendrait dans sa gloire. Jésus les reprit et ajouta, de manière significative, que le chemin vers la gloire dans son royaume est à l’opposé total de ce qu’il est dans ce monde : pour les dominateurs humains, l’exercice de l’autorité veut dire écraser les autres, mais le premier parmi ceux qui suivent Jésus doit être serviteur de tous. Alors vient la phrase décisive : « Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de beaucoup. » (Marc 10.45) C’est un résumé du dernier chant du Serviteur, avec, encore, ce mot caractéristique : « beaucoup ».

Pendant le dernier repas, Jésus trouva une autre occasion de rappeler un passage sur le Serviteur. Notre Seigneur avait averti ses disciples des ténèbres qui allaient bientôt tomber sur eux. Il avait utilisé un langage figuré qu’ils ne comprirent pas. Alors il leur dit aussi clairement que possible : « Il faut que cette parole qui est écrite s’accomplisse en moi : “Il a été mis au nombre des malfaiteurs.” Et ce qui me concerne est sur le point d’arriver. » (Luc 22.37 ; cf. És 53.12) La façon dont Jésus cite ce texte est des plus intéressante. Il révèle pourquoi Jésus a si souvent utilisé cette expression : « Il faut » De façon répétée, depuis que Pierre l’a confessé comme le Christ à Césarée de Philippes, Jésus dit à ses disciples peu clairvoyants que le Fils de l’homme doit être livré aux mains des hommes, souffrir, mourir puis ressusciter. Pourquoi Jésus dit-il « doit » ? Certains textes répondent : parce que l’Écriture l’indiquait. Mais quelle Écriture, plus précisément ? D’ordinaire, cela ne nous est pas dit. Seulement ici, cela est révélé : c’était dans les chants du Serviteur que Jésus a trouvé ce chemin.

Assurément, d’autres passages de l’A.T. peuvent être pris comme des prophéties de la croix ; cependant aucun n’a la clarté et la précision des chants du Serviteur. Si l’on met de côté un nombre indéfini de « types », plusieurs Psaumes (par ex. : 22, 69) indiquent de façon poignante à l’avance ce qu’allaient être les souffrances du Messie ; mais ils sont indirectement messianiques (car certaines phrases ne sont applicables qu’au roi de l’A.T. ou au fidèle souffrant). Seul Zacharie est presque aussi clair qu’Ésaïe : rappelez-vous le berger rejeté, le compagnon de l’Éternel contre lequel l’épée doit se réveiller ; celui qui a été percé ; la fontaine ouverte pour le péché et l’impureté (Zach 11 ; 13.7 ; 12.10 ; 13.1). Les prophéties de Zacharie, cependant, ne sont pas faciles à comprendre par tout le monde. Zacharie lui-même rappelle les chants d’Ésaïe dans sa vision du jour absolu et définitif des expiations, où l’Éternel ôtera « l’iniquité de ce pays, en un jour » (Zach 3.9) : dans cette vision, celui qui doit venir reçoit un double titre : « mon serviteur, le germe » (Zach 3.8). Ce titre réunit le Serviteur souffrant des chants et le Fils de David promis par Jérémie (Jér 23.5).

Ainsi nous sommes renvoyés aux chants du Serviteur. À travers eux, notre Sauveur a trouvé les lignes directrices de sa mission. Sur quel terrain saint nous nous trouvons quand nous étudions ces chants ! Qu’il est émouvant d’imaginer Jésus méditer sur ses passages, sachant que c’était la volonté du Père et le chemin pour lui !

 

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  1. Il nous est difficile de concevoir comment Jésus a pu « apprendre », puisque, en tant que Fils, l’omniscience de Dieu était sienne de toute éternité. Et pourtant, cette vérité est révélée dans la Bible : Bien qu’il soit le Fils, il a dû apprendre (cf. Héb 5.8). Peut-être a-t-il décidé, comme il a laissé de côté sa gloire, de ne pas faire usage de sa divine omniscience. C’est un sujet difficile. En aucun cas, nous devons prendre garde de ne rien retrancher de la réalité de l’humanité de Christ : Il est venu comme l’un de nous. Comme nous confessons à juste titre l’absolue divinité de Christ, nous pouvons oublier plus facilement qu’il est venu en chair, un homme sous la discipline de l’apprentissage. Il ne lisait pas les Écritures seulement pour les appliquer à d’autres. Comme homme, il avait besoin d’elles : elles étaient pour lui la voix du Père – et particulièrement dans ces mots d’Ésaïe, une voix claire et précise – si terriblement claire et précise.
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Blocher Henri
Henri Blocher est ancien professeur de théologie systématique au Wheaton College aux États-Unis et à la faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine en France. Il est l’auteur de très nombreux articles et plusieurs ouvrages.