Dossier: Travail et chomage
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Vocation et revenu

Lorsque Dieu nous appelle1 à lui, il désire nous accompagner dans tous les domaines de notre vie. Cela inclut, d’une part, notre relation au travail (quel travail ? combien travailler ?) et, d’autre part, notre relation au revenu ou salaire (de combien d’argent ai-je besoin ? comment gérer mes revenus ?). Ces deux éléments représentent deux aspects distincts de notre relation à Dieu : le premier reflète notre obéissance à Dieu, alors que le second est lié à notre confiance en lui. Ils s’influencent néanmoins fortement l’un l’autre : notre conception de ce qu’est un « revenu correct » peut, par exemple, nous empêcher d’entrer dans certains appels spécifiques de Dieu. Dans cet article, nous nous intéressons aux interactions entre ces deux aspects de notre vie spirituelle.

La Bible, la vocation et le revenu

Alors que la littérature chrétienne sur l’argent et la fortune abonde, la question du revenu est souvent abordée uniquement comme conséquence d’une vocation particulière. On attend du pasteur ou du missionnaire qu’il renonce à un haut revenu pour s’adonner à sa vocation et qu’il n’abuse pas des dons reçus.

Pour les autres personnes, la question du revenu est souvent implicite. Il va de soi, pour beaucoup, que notre vocation est de trouver un travail qui paie suffisamment bien pour subvenir aux besoins de notre ménage.

Cette vision de la vocation a généralement deux conséquences.

Premièrement, la « vocation » est réduite à l’enjeu de trouver, à tout prix, un emploi pour gagner notre vie. Notre contribution au royaume de Dieu au travers de nos dons et talents doit alors se faire dans des activités secondaires et bénévoles.

Deuxièmement, cette approche est souvent utilisée pour légitimer nos hauts revenus, nos décisions éthiquement discutables, ainsi que la poursuite de nos ambitions et envies personnelles au détriment d’une recherche sincère de la volonté de Dieu pour notre vie.

Il en résulte que, ni la vocation, ni le revenu ne sont intégrés explicitement à notre vie de foi, mais sont subordonnés au souci de notre bien-être. Or bibliquement, il semble que notre relation au travail et notre relation au revenu représentent deux fondements distincts de la spiritualité de tout chrétien – la première nous défiant au niveau de notre obéissance à Dieu et la seconde au niveau de notre confiance en lui.

Dans le jardin d’Éden, les bénédictions matérielles ne sont pas la conséquence de l’appel adressé à Adam et Ève de prendre soin de la création, mais découlent de la richesse abondante du jardin. Et si la chute conditionne la riche providence de la terre à un dur labeur (Gen 3), la terre promise restaure, dans une certaine mesure, l’abondance gratuite du jardin d’Éden. Canaan est « un pays où coulent le lait et le miel » (Ex 3.17). Aussi bien en Éden qu’en Canaan, la bénédiction ne dépend donc pas de notre vocation professionnelle, mais d’un appel bien plus large. Elle dépend de notre réponse obéissante à l’appel de Dieu à devenir son peuple. Le travail est maudit suite à la rupture de la relation avec Dieu, et non à cause d’une faute professionnelle. De même, Dieu bénit le pays promis avant même que les Israélites ne prouvent par leur labeur qu’ils méritent une telle bénédiction. Il ordonne d’ailleurs l’aberration économique de respecter un jour de repos sur sept et une année de repos sur sept (Ex 20 ; Lév 25) – ceci pour nous rappeler que c’est lui, et non notre propre force, qui assure notre revenu (Deut 8.17). Dieu nous demande certes de travailler (Pr 6.6-11 ; 10.4 ; 13.4 ; 2 Thes 3.10), mais c’est lui qui assure l’abondance du lait et du miel.

Bien que le N.T. ne promette plus lait et miel en abondance, l’obéissance à l’appel du Christ et la confiance en Dieu restent des thèmes centraux. D’une part, tout comme Israël (Deut 30.19), nous sommes forcés à faire un choix fondamental quant à la confiance. Nous ne pouvons servir deux maîtres. Nous devons donc choisir entre mettre notre confiance en celui qui prend soin de nous ou nous soucier de ce que nous mangerons (Luc 12.15-31 ; Jac 5). Ce choix concerne tout le monde, autant celui qui travaille dans l’église que celui qui œuvre dans le monde séculier. Dans la mesure où le grec ne fait pas de différence entre « croire en » et « faire confiance », notre manière de « faire confiance » à Dieu pour la nourriture est un témoignage visible de ce que nous croyons au sujet du Christ. Dans ce sens, bien qu’une perte de revenu représente une bonne occasion de réfléchir à notre vocation, elle peut, dans certains cas, être simplement un moyen pour développer notre confiance en Dieu. Loin d’être une pure question matérielle, la question du revenu est donc une composante centrale de notre relation avec Dieu.

D’autre part, l’obéissance est au centre du N.T.2 C’est en répondant à son appel que nous recevons une nouvelle identité, celle de citoyens du royaume de Dieu (És 43.1 ; 1 Tim 6.12). Cette nouvelle identité va radicalement transformer nos priorités. Ici aussi, aucune différence ne peut être faite entre celui qui travaille comme missionnaire ou pasteur et celui qui travaille dans le monde séculier. Nous sommes tous appelés à reconnaître Dieu comme le seul Seigneur et à discerner sa volonté concernant notre vie quotidienne. Dans tous nos choix de vie, y compris le travail et les loisirs, nous sommes appelés à chercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice (Mat 6.33 ; cf. Jér 29.7 ; Éph 2.16). Ces choix sont un témoignage concret de notre volonté ou de notre résistance à suivre Dieu de manière obéissante et libre – tout comme le sacrifice du Christ était un acte d’obéissance librement choisie.

L’influence réciproque des conceptions de vocation et de revenu

Bien que distinctes, les questions de vocation et de revenu s’influencent néanmoins réciproquement. Une compréhension saine de la vocation comme un appel adressé à l’ensemble de la vie de chaque chrétien permet d’envisager des combinaisons créatives d’activités payées et non-payées. Celles-ci intègrent tous les aspects de nos vies, y compris le travail, la famille et l’engagement dans l’église et la société. Dieu peut, par exemple, appeler une personne à travailler à temps partiel dans un emploi bien rémunéré afin d’avoir beaucoup de temps non-payé pour s’investir dans l’église ou prendre soin de ses parents âgés. De même, au sein d’un couple, une personne peut avoir un emploi rémunéré afin que l’autre puisse développer un ministère parmi les jeunes du quartier. De telles « carrières » sont un défi dans la culture environnante. Dès lors, elles représentent un témoignage fort de notre vision différente du monde et de notre dépendance de ce Dieu qui promet de pourvoir à nos besoins.

De même, une compréhension saine de la manière dont Dieu désire prendre soin de ses enfants nous permet de répondre en toute liberté à l’appel de Dieu dans tous les domaines de notre vie. Elle nous offre la sérénité nécessaire pour accepter les implications de notre appel en lien avec le choix de notre travail et de notre temps libre ainsi qu’avec le type et la taille de notre revenu. À l’inverse, une fausse théologie du revenu peut nous empêcher de découvrir pleinement notre appel. Par exemple, une mauvaise compréhension de notre responsabilité personnelle à subvenir à nos besoins peut nous conduire à travailler dur pour faire carrière et ne pas être licenciés, nous empêchant ainsi de répondre à l’appel que Dieu réserve à l’ensemble de notre vie. Dans d’autres cas, une compréhension simpliste de Matthieu 6.24-32 peut conduire à la paresse ou nous faire manquer la pleine richesse des bénédictions que Dieu a pour nous dans les parties moins attrayantes ou plus exigeantes de notre appel.

En résumé, une compréhension saine et complète de la vocation et du revenu nous rapproche concrètement de ce Dieu qui nous appelle à une relation d’obéissance et de confiance dans tous les aspects de notre vie. De plus, vocation et revenu, respectivement obéissance et confiance, forment un cercle soit vertueux soit vicieux. Une bonne compréhension de notre appel nous détourne des tracas matériels et nous rend libres d’entrer encore davantage dans celui-ci. Inversement, une mauvaise compréhension de l’appel nous pousse à nous soucier davantage de nos revenus, nous empêchant ainsi de discerner pleinement l’appel de Dieu pour notre vie3.

En pratique

La distinction entre vocation et revenu implique premièrement que nous n’avons pas à trouver un revenu avant de discerner l’appel de Dieu pour notre vie. Au contraire, la question du revenu fait partie de notre vocation. Dieu étant bon et cohérent, son appel pour notre vie inclut, d’une manière ou d’une autre, de quoi subvenir à nos besoins. Le plus souvent, ce sera au travers d’une certaine quantité de travail rémunéré ; pour une minorité d’entre nous, pour un temps donné, ce pourrait être par des corbeaux… (1 Rois 17). Dans tous les cas, ces activités, rémunérées ou non, font partie de l’appel bienveillant et cohérent de Dieu pour l’ensemble de notre vie – un appel, premièrement, à être en relation avec lui, le servir et le glorifier 24 heures sur 24, aussi par notre travail et notre repos. Cela implique, pour ceux parmi nous qui sont appelés à une activité dont ils ne peuvent vivre, de découvrir les autres facettes de l’appel de Dieu. Cela implique également que considérer le travail salarié comme le seul moyen de pourvoir à nos besoins est un manque de foi en la bienveillance et la créativité de Dieu.

Deuxièmement, la séparation entre vocation et revenu supprime toute différence entre ceux qui travaillent dans le monde séculier et les pasteurs ou missionnaires. Nous devons tous entrer dans l’appel de Dieu pour l’ensemble de notre vie. Cet appel requiert l’obéissance complète au Christ et la confiance que Dieu pourvoit à nos besoins – parfois de manière surnaturelle et parfois d’une manière qui exige davantage d’efforts de notre part. Notre responsabilité est de cheminer avec Dieu et de régulièrement se mettre à l’écoute des directives de Dieu pour la suite de notre vie – une marche qui combinera probablement nos talents, notre contribution au royaume de Dieu et une manière spécifique de pourvoir à nos besoins à chaque étape. Dieu peut, en effet, nous appeler à tout âge à une nouvelle orientation qui peut impliquer la perte de l’apparente sécurité de notre travail et nous faire entrer dans de nouveaux bons projets.

Finalement, une saine théologie des relations à la vocation et au revenu nous interpelle quant aux différences de revenu entre ceux qui travaillent pour Christ dans le monde séculier et ceux qui travaillent directement pour l’église. Elle implique que ceux d’entre nous qui profitent de revenus réguliers (et souvent croissants) revoient leur « droit à gagner et à garder » le surplus de ce revenu pour eux-mêmes. Elle nous demande une discipline toute particulière pour développer notre confiance en Dieu et pour définir ce qu’est un style de vie juste dans un monde où nos prochains manquent souvent de l’essentiel. Dans sa cohérence, la vocation inclut également un appel à un certain style de vie – et pour la grande majorité d’entre nous, cela sera une vie sobre qui trouve son plaisir complet en Christ. La vocation concerne donc autant notre consommation, notre épargne et notre générosité que notre travail et notre revenu. Elle devrait permettre une redistribution abondante afin que chacun au sein de la communauté des croyants – et, dans une certaine mesure, au-delà de celle-ci – puisse vivre pleinement sa vocation et traverser les épreuves de la vie.

1 Vocation vient de la racine latine pour appeler.
2 Mat 4.19 ; 10.38 ; Marc 10.21 ; Jean 10.27 ; Rom 9.24-26 ; 1 Cor 1.2,9 ; Gal 5.13 ; 1 Thes 2.12 ; 1 Pi 2.21
3 Cette influence réciproque se retrouve dans Matthieu 6.19-34 : les versets 19-21 parlent de confiance, le verset 24 d’obéissance, les versets 25-32 de confiance, et le verset 33 termine avec l’obéissance confiante, préférable aux soucis du verset 34.

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Gonin Michaël
Michaël Gonin est marié et père de trois enfants. Chercheur passionné par l’éthique des affaires, le sens du travail et le rôle de l’économie dans la société, il a enseigné à l’Université de Lausanne et à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Actuellement étudiant au Regent College à Vancouver, il se penche sur l’enjeu du monde post-moderne pour l’église et les chrétiens.