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Le combat de Francis Schaeffer

Théologien, docteur, pasteur, penseur, conférencier, Schaeffer fut par-dessus tout un lutteur, un homme engagé dans le combat et à la pointe du combat.
Non pas un combat d’école, académique, futile, stérile. Schaeffer ne craignait pas de descendre sur le terrain et d’entrer dans la mêlée, d’être directement aux prises avec les courants de pensée de la société d’aujourd’hui.
Vivant avec son temps, Schaeffer « collait » à la modernité. Aussi n’était-il pas pris au dépourvu, ni dépassé, ni déphasé. Témoin attentif et analyste averti de la culture contemporaine, il en dépistait les formes de pensée, « le message ».
A ce message, il opposait celui de la Bible, dont il célébrait et démontrait la grandeur, l’unicité l’adéquation à la réalité telle qu’elle est.
C’est ce qui explique le côté apologétique de son oeuvre. Le christianisme, la révélation judéo-chrétienne, est, comme il se plaisait à le répéter, ‘titanique ». Elle seule apporte les réponses que l’homme cherche désespérément. Inutile de vouloir les trouver dans les systèmes humains, dans la pensée profane. Au fond, le combat incessant et « tous azimuts » livré par Schaeffer – non dans un esprit de polémique, mais de compassion et d’amour – tendait cette seule fin: par la glorification raisonnée de ‘Evangile, amener les gens, hors de l’Eglise et dans l’Eglise, à penser bibliquement, chrétiennement, pour leur ur salut et pour la gloire de Dieu.
Vu que le ministère de ce maître à penser s’est essentiellement déroulé dans l’Occident dit « chrétien », cela évoque bien sûr le drame qui s’est produit au sein de notre culture au cours des dernières décennies. L’apostasie – l’abandon de la vérité biblique – a pris pied dans les Eglises et de là, par contagion, dans la société, en y semant ses ravages.

C’est dans ce milieu ambiant -l’apostasie du monde occidental dont il mesurait et l’ampleur et l’horreur – que Francis Schaeffer a bataillé sans trêve pour magnifier l’Evangile, restaurer la vision et l’ordre bibliques et arracher des hommes à la perdition.
Son combat est donc empreint de souffrance. Les accents sont douloureux, pathétiques. L’homme qui plaide avec le monde moderne fait encore plus figure de prophète que de théologien. Il a le message de saison pour la culture dans laquelle il vit. Conscient du jugement qui vient, il l’appelle solennellement à un retour à Dieu et à sa Parole, aux absolus de l’Ecriture.
Oui, Schaeffer plaide. Il plaide contre l’apostasie et les aberrations qu’elle a amenées dans les domaines de la religion, de la pensée, de l’art, de la morale et de la vie sociale.
Il plaide pour un retour à une vision biblique intégrale, à des concepts fondés sur la révélation scripturaire et à une pratique en pleine harmonie avec ces concepts. Car il ne suffit pas de penser justement à tous les niveaux. Il faut encore vivre et agir justement à tous les niveaux.

Faisant front de tous les côtés, Schaeffer s’est battu, au nom du christianisme historique, dans les domaines de la logique, de la pensée philosophico-théologique, de l’anthropologie (doctrine de l’homme), de l’expérience religieuse, de la sotériologie (doctrine du salut), de l’ecclésiologie (doctrine de ‘Eglise) et de l’inspiration des Ecritures. Dans son combat, il a eu le mérite de ne jamais se présenter en ‘attardé ». Certes, il connaissait les hérésies d’hier. Mais, toujours dans le vif de l’actualité, il a combattu celles d’aujourd’hui. On peut même dire qu’il a su devancer le temps et prévoir ce qui allait arriver.
Son apologie d’avant-garde lui a permis de se faire écouter par ceux qui avaient passé dans le moule de la culture moderne, surtout la jeunesse étudiante.

Le combat dans le domaine logique

Dès ses premiers écrits, il s’oppose vigoureusement à la relativisation du concept de vérité. Si une thèse est juste, son contraire doit être tenu pour faux et répudié. Par exemple, on ne peut en même terrps prétendre que Jésus-Christ corporellement ressuscité et qu’il ne l’est pas. C’est l’un ou I autre. Il n’y a pas de conciliation, de synthèse possible.
Vouloir faire cohabiter des positions qui s’excluent, c’est aller contre la logiquE de l’esprit humain tel que Dieu l’a créé, briser l’unité de la vérité et attenter à son caractère absolu.
La vérité n’est pas ambigùe, trouble, double. Les oppositions logiques, thèse-antithèse (bien-mal, vérité-erreur. etc…) doivent être maintenues, sinon l’on tombe dans la déraison. La synthèse, comme outil servant àconcilier les contraires, est à rejeter.
La défense passionnée du caractère absolu de la vérité a naturellement amené Schaeffer à dénoncer le Néo-Modernisme, à cause de son relativisme en matiére de foi, et la fausse unité oecuménique avec son amalgame de groupes hétérogènes et de positions doctrinales divergentes.
La où la synthèse est reine, le pluralisme jouit de toutes les faveurs.

Le combat dans le domaine philosophico-théologique.

Pour répondre au désarroi des esprits, particulièrement de la jeune génération en pleine dérive intellectuelle et morale, Schaeffer s’est attaché à rétablir des points de repère précis par rapport à Dieu. Face àl’athéisme, il insiste sur l’existence objective de Dieu attestée dans la création et la réalité humaine dans ce qu’elle a de spécifique et d’unique par rapport au reste du monde créé: la personnalité. Dieu n’est pas la projection de notre pensée ou le produit de notre imagination. « Il est réellement là. »
En plus, il s’agit d’un Dieu personnel, et non d’un principe abstrait, vague et distant, jouant le rôle de cause première. Nous n’avons pas affaire au dieu impersonnel des déistes, mais au Dieu tri-personnel de ‘Ecriture, Père, Fils et Saint-Esprit.
Ce Dieu-Personne – source et explication de notre propre personnalité – aime et communique. Il y a amour et communication au sein de la Trinité. Ce Dieu personnel est donc proche de l’homme – la barrière créée par le péché mise à part – capable de communiquer, de parler, de se révéler à sa créature.
Puisqu’il n’est ni lointain, ni muet, on peut le connaître.

L’agnosticisme n’a pas de fondement. Dieu n’est pas une énigme indéchiffrable. On ne peut le saisir d’une façon exhaustive, mais en tout cas substantielle. Schaeffer ne s’est pas lassé d’affirmer la rationalité et l’intelligibilité de la révélation biblique.
Mais, attention! Ce Dieu personnel est infini. Créateur de toutes choses, il ne se confond pas avec la création. Il transcende l’ordre entier des choses créées et des créatures. Voilà un coup mortel porté au panthéisme, si àla mode aujourd’hui dans notre Occident paganisé.

Que Dieu ne se confonde pas avec l’univers ne signifie pas, toutefois, qu’il soit absent de sa création. Enfermer celle-ci dans un système clos de lois naturelles, c’est avoir une vision purement mécaniste de l’univers, en exclure Dieu. Schaeffer rejette le naturalisme. Dieu est présent et agissant dans la création. Il peut y intervenir directement quand il veut et comme il veut, sans être prisonnier de l’agencement habituel des rapports de cause à effet.
Ceux qui ne conçoivent pas que Dieu puisse « mettre sa main dans la machine », qui restent au niveau du visible et du naturel, n’ont que la moitié de la réalité, « la moitié de l’orange ».
Maître de la création, Dieu l’est aussi de l’histoire, dans laquelle il agit par sa providence, ses miracles, ses délivrances et ses jugements. L’histoire, qui obéit àson plan et qui marche vers une fin conçue par lui, ne peut donc être ramenée au jeu des facteurs horizontaux d’ordre social, économique, politique, militaire. Le sens de l’histoire, qui relève de Dieu, dépasse toutes ces causes secondes. Le matérialisme historique est faux.
Enfin, l’action de Dieu dans l’histoire manifeste son caractère, la sainteté. Celle-ci constitue la loi morale de l’univers, le fondement sur lequel les absolus moraux reposent.
En vertu de l’existence objective du Dieu personnel et infini – origine de toutes choses – et en vertu de son caractère – la sainteté – il est possible d’échapper à la dérive intellectuelle et morale à laquelle je me suis référé plus haut.
La vie humaine, en tant que telle et en elle-même, n’est pas dépourvue de signification. L’absurdité et le désespoir ne sont pas, comme l’existentialisme voudrait nous le faire croire, inhérents à notre condition d’hommes, mais le résultat de la chute originelle etdes multiples séparations qu’elle a provoquées, à commencer par la séparation de l’homme d’avec Dieu.

Que l’homme retrouve, par la foi en Jésus-Christ crucifié et ressuscité – l’auteur d’une parfaite rédemption – Celui qui est à la fois son Créateur et sa fin dernière, et la plénitude de sens attachée à son existence lui apparaîtra aussitôt et deviendra sa possession.
Du même coup, les absolus moraux qui doivent guider sa conduite et auxquels sa conscience rend témoignage (cf. Rom 2.14,15), s’offriront à lui avec toute la netteté désirable dans l’Ecriture. Il sera délivré de l’amoralisme et connaîtra la beauté d’une vie sainte.

Peut-être suffit-il maintenant de dégager les lignes de force du combat de Francis Schaeffer sur les autres plans. Je serai donc très succinct.

Le combat dans le domaine de l’anthropologie

Tout en maintenant avec beaucoup de soin l’historicité de la chute et ses conséquences immenses pour l’homme – dans sa quadruple relation avec Dieu avec lui-même, avec le prochain et avec la nature – Schaeffer a lutté contre une dévaluation de l’homme en tant qu’homme. Bien que pécheur, il reste grand, « car il retient quelque chose de l’image de Dieu ». La chute, si dramatique soit-elle, n’a pas fait de lui un zéro, ne l’a pasamené àêtre moins qu’un homme. Ainsi, il reste unique par rapport au reste de la création, un être responsable, capable de choix, capable d’influer sur le cours de l’histoire.
Cet accent sur la grandeur et la valeur de l’homme se justifie pleinement face à ce que le déterminisme (chimique, biologique, psychologique) tend à faire de l’homme: un être irresponsable, un simple rouage de la machine cosmique. C’est au nom de la grandeur de l’homme comme créature faite à l’image de Dieu, au nom du caractère sacré de la vie humaine, que Schaeffer a mené un combat acharné contre l’avortement, l’infanticide, l’euthanasie.
Son « humanisme », vraiment biblique, est absolument oppose à l’humanisme séculier qui glorifie l’homme autonome. I Pour Schaeffer, l’autonomie – la volonté d’être sa propre loi -constitue l’essence du péché.

Le combat dans le domaine de l’expérience religieuse

Le mysticisme diffus de notre époque, qui flotte dans le vide, sans le support objectif de faits rédempteurs inscrits dans l’histoire, d’une révélation en corrélation avec ces faits et les expliquant, d’une doctrine claire et substantielle proposée à l’homme avec toutes ses facultés – y compris son intelligence – ce mysticisme, ce subjectivisme Schaeffer le qualifiait « de bannière sans contenu », ou « de foi en la foi ».
La vraie foi n’est pas un saut dans le vide, le noir, l’irrationnel. La foi n’implique pas le sacrifice de l’intelligence, de la raison…
(Ce qui mène au sacrifice ou à la démission de la raison, c’est le rationalisme, le culte de la raison. Quand la raison s’affranchit de la soumission à la révélation de Dieu, elle marche nécessairement vers la perte de la rationalité. Le prix de l’autonomie orgueilleuse, c’est l’irrationalisme.)
La foi digne de ce nom fait appel à l’intelligence, car la révélation biblique n’exige pas que l’homme croie sans réfléchir. Elle provoque et nourrit sa réflexion. Même si cela peut sembler à certains paradoxal, elle demande à l’homme de réfléchir plus profondément.

Le combat dans le domaine de la sotériologie
(doctrine du salut)

Schaeffer a très bien montré que la notion de salut et la doctrine du salut ne prenaient tout leur sens que dans le cadre d’un enseignement bien étayé sur le Dieu créateur. Les premiers chapitres de la Genèse sont les prémisses nécessaires au dèveloppement de la doctrine du salut en Christ. Ils n’ont pas un caractère mythique ou symbolique. Ils rapportent des faits historiques.
Leur historicité est amplement confirmée par le Nouveau Testament.
La vision que Schaeffer a du salut, basé sur l’oeuvre parfaite de rédemption accomplie par Jésus-Christ dans l’histoire, n’est pas étriquée. Son combat vise à élargir nos conceptions. Le salut acquis par la mort expiatoire et substitutive et la résurrection corporelle de Jésus-Christ, pour tous ceux qui croient, n’apporte pas simplement la libération de sentiments de culpabilité (plan psychologique), mais d’une réelle culpabilité devant le Dieu saint (plan moral), que notre péché a offensé et sous la colère duquel nous sommes tous par nature. (La note du jugement est très forte et très présente dans l’oeuvre de Schaeffer.)
D’autre part, le salut a un caractère total: il embrasse la justification et la sanctification, l’âme et le corps, qui ressuscitera et sera glorifié (Schaeffer rejette toute tendance « platonicienne » de mépris du corps et de la matière), l’homme et le cosmos (entraîné dans l’anormalité par la faute de l’homme, mais devant aussi participer de sa restauration, cf. Rom 8.18-25), la vie privée et la vie sociale, nos relations humaines ayant aussi besoin de guérison.
Enfin, en rupture avec un certain piétisme, Schaeffer n’a pas ignoré une dimension du salut trop souvent négligée, à savoir le salut de notre culture. Il a bataillé jusqu’au bout, et avec une énergie croissante, pour que les chrétiens soient vraiment « le sel de la terre et la lumière du monde », qu’ils sortent de leur ghetto – une spiritualité exclusivement orientée vers les réalités éternelles – et S’opposent sur le terrain à la marée de l’humanisme séculier.

Engagé lui-même à fond dans ce combat, Schaeffer, toujours lucide et biblique, ne croyait pas à un salut massif de la société. Mais il estimait, avec raison, que les chrétiens ne doivent pas abandonner les affaires de la cité et de la nation aux humanistes athées, et que l’influence salvatrice du christianisme doit aussi se faire sentir sur la culture. Le baume de ‘Evangile peut aussi et doit aussi étendre ses effets à notre société malade.

Le combat dans le domaine de l’ecclésiologie
(doctrine de l’Eglise)

Sur ce plan, Schaeffer a été le champion d’une orthodoxie multidimensionnelle exigeante. Il a plaidé pour la pureté de l’Eglise en matière de doctrine et de vie. Ses pages sur l’adultère spirituel et l’apostasie sont émouvantes. Schaeffer rejetait tout compromis. Il était jaloux de la sainteté de Dieu et de l’intégrité de la foi. Il admettait pleinement la nécessité d’une discipline ecclésiastique. Il a plaidé pour la mise en place de structures vraiment bibliques (« The Church at the End 0f the 2Oth Century »), tout en reconnaissant sagement une marge de liberté. L’orthodoxie de la doctrine, de la vie, des structures, ne lui suffisait pas.
Il voulait encore « l’orthodoxie de la réalitécommunautaire », c’està-dire la pleine manifestation de l’amour chrétien au sein de ‘Eglise. Il nous rappelle, dans « La Marque du Chrétien », que « l’apologétique finale (du christianisme)… c’est l’amour visible entre les vrais chrétiens », p. 21. Cette réalité communautaire, il l’a pleinement vécue lui-même, et de longues années, depuis la fondation de la communauté de l’Abri. La Croix était au centre de sa vie comme au centre de son message.

Le combat dans le domaine de l’inspiration des Ecritures.

Adversaire irréductible de la relativisation du concept de vérité, Schaeffer a été, comme les réformateurs, un homme de la Parole. Il n’a jamais admis que l’on porte atteinte à l’intégralité de la vérité biblique. Il a maintenu fermement, face au NéoModernisme et même au sein du monde « évangélique », la pleine inspiration et l’inerrance des Ecritures. Il n’acceptait pas de dichotomie entre le message de la Bible et l’historicité des récits bibliques ou encore l’exactitude des faits d’ordre scientifique. Pour lui, la Bible était absolument crédible en tout et à tous les niveaux.
Au Congrès de Lausanne, en 1974, il a lancé un vibrant appel pour un retour à une conception sans faille de l’inspiration des Ecritures (cf. « Impact et Crédibilité du Christianisme », p. 49 à52).
En hommage personnel à cet homme de Dieu dont j’ai beaucoup reçu et beaucoup appris, j’aimerais dire, dans ses propres termes, qu’il a eu « une vision limpide de l’importance de la vérité, et une pratique limpide de cette vérité » (« La Mort dans la Cité », p. 60).
Paul-André DUBOIS

Directeur de l’Ecole
Biblique de Genève

Tire du « Témoin » n0 5, sept-oct. 84, organe bimestriel de l’Action Biblique, avec autorisation.

Communication

Les articles traitant le thème « Foi et Science » dans le n0 70, en particulier l’évolutionnisme, ont rencontré un vif intérêt. Les extraits du livre passionnant « INSOLITE », ainsi que son commentaire dans la chronique des livres, ont trouvé un écho trés favorable. Cet ouvrage dont l’auteur est le savant bien connu, M. Jean Taubenberg-Savoy, biologiste et ornithologue, peut être commandé exceptionnellement àl’adresse PROMESSES, soit en France, soit en Suisse, ou alors directement chez l’auteur: Case postale 24, CH-i 897 LE BOUVERET. (Prix de l’ouvrage: 80 FF ou 30 FS).
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