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Priorités pour les années quatre-vingts

En introduction, je voudrais faire remarquer que les priorités dont je vais parler ne concernent pas la totalité de la vérité et de la vie chrétiennes. Pour le faire, il faudrait certainement inclure les priorités suivantes: la pureté doctrinale la nécessité de démontrer l’existence et le caractère du Dieu de sainteté et d’amour; la nécessité d’être fidèle en communiquant aux non-chrétiens une vérité se rapportant a toute la réalité ; l’obligation de ne pas faire, même ce qui nous paraît juste, par notre propre sagesse et notre propre énergie, ce que j’appellerai notre enthousiasme charnel, mais de regarder plutôt au Christ vivant afin qu’il puisse porter son fruité travers nous moment par moment ; la nécessité d’une vie de prière vivante ; pour terminer, il faut nous souvenir que la fin de toutes ces choses est notre amour du Seigneur, la nécessité de l’aimer de tout notre coeur, de toute notre âme et de toute notre pensée.

Que sont donc alors ces priorités pour 1982 ? Je voudrais mettre l’accent sur ce qu’il nous faut faire, si nous voulons rester fidèles au Christ en tant que Seigneur de tous les domaines de nos vies. Quelles sont les priorités qui doivent être respectées si nous voulons être la lumière et le sel de notre culture en assumant nos responsabilités civiques au milieu des réalités quotidiennes des années quatre-vingts ?

Nous avons en Suisse un voisin qui, lui, a une grande priorité: la haie qui sépare nos propriétés ne doit pas dépasser la hauteur fixée par la loi. En Suisse, une haie marquant la limite entre deux propriétés ne doit pas dépasser une certaine hauteur. C’est la priorité que cet homme s’est fixée. On peut le voir examinant attentivement notre haie en estimant la hauteur. Si elle a le malheur de pousser quelques centimètres de trop, vous pouvez être certain qu’il viendra vous dire: « Il vous faut trouver quelqu’un pour tailler cette haie. » L’horizon de ses priorités est bouché par cette haie. Il est parfaitement aveugle aux transformations de la culture suisse qui l’entoure.

La Suisse passe par de profonds bouleversements. Sa jeunesse n’a jamais vraiment connu les changements des années 1960 et 1970. Elle se trouve soudainement au milieu du monde. Les dix dernières années en Suisse ont provoqué des changements tout simplement inimaginables.

Prenons, par exemple, l’éducation sexuelle qui est donnée dans les écoles. Certains de nos petits-enfants vont à l’école en Suisse. Un professeur d’éducation sexuelle est venu de Lausanne donner ses cours dans l’école d’une de nos petites-filles dans la vallée. Il s’agit de cette éducation sexuelle moderne donnée dans un esprit parfaitement relativiste. Lors de la discussion, une des élèves demanda, en mentionnant le nom de ma petite-fille: « Nous avons, elle et moi, un désaccord profond. Ma copine dit qu’elle ne veut pas avoir de rapports sexuels tant qu’elle n’est pas mariée. Moi-même, j’en ai déjà eu de nombreux par pure curiosité. Qui des deux a raison ? » Et le professeur de répondre: « Vous avez toutes deux également tort, parce que, d’une part il ne faudrait pas faire de telles choses simplement par curiosité et, d’autre part, vous aurez toutes un certain nombre de rapports sexuels avant le mariage. »

Une réponse si relativiste ne peut que profondément me choquer, car je sais ce qu’était la Suisse il y a encore vingt ans. La Suisse était ce qu on nomme en Europe archibourgeoise. Tout s’y faisait d’après des règles ; tout était très strict. Que l’on donne maintenant un tel enseignement dans les écoles du pays représente une révolution incroyable. Malgré tout cela, notre vieillard continue à scruter la hauteur de notre haie. Nous pouvons terriblement nous tromper sur nos priorités.

Pensons, par exemple, à ce qui s’est passé sur la si sérieuse Bahnhofstrasse de Zurich, l’une des rues les plus belles de Suisse, si chic et si correcte. De nombreux jeunes s’y sont promenés complètement nus. Ils y manifestaient pour réclamer un centre autonome d’où la police serait entièrement exclue et où ils pourraient en conséquence être absolument libres. Quand on voit de telles choses, on ne peut tout simplement pas imaginer ce qu’était la Suisse d’il y a dix ans. Mais notre voisin âgé garde ses yeux fixés sur sa haie. C’est là sa priorité.

Mais cela n’est pas tout. En traversant les magnifiques villes de Suisse, vous pouvez voir d’immenses A sur les murs des cathédrales ainsi que sur d’autres monuments anciens. A représente le mot autonome. Il s’agit en fait d’un mouvement véritablement anarchiste d’un type que nous ne connaissons guère aux Etats-Unis. La seule comparaison possible serait avec les paroles – je ne pense pas à la musique – du punk rock. Habituellement, on ne prête pas attention aux paroles de cette musique. Elles expriment une vision du monde entièrement dépourvue de sens, sans espoir, sans but. Les anarchistes en Suisse, en Allemagne, en Hollande, dans les pays scandinaves et ailleurs n’ont absolument aucun programme politique ni le moindre idéal social. Ce sont de purs anarchistes; pour se faire remarquer, ils peignent leurs immenses A d’une telle laideur sur les cathédrales et ailleurs. Et penser que ces gens-là vont déposer leurs bulletins de vote dans les urnes ces dix prochaines années. Mais notre vieillard regarde toujours pousser la haie.

Où se situent nos fausses priorités à nous, aujourd’hui 7 En voici un exemple. Serait-il judicieux que les chrétiens se battent devant les tribunaux pour avoir le droit d’enseigner, a côté d’une Terre déjà ancienne, l’hypothèse d’une terre relativement jeune qui serait l’oeuvre d’un créateur ? Je ne crois pas, car il s’agit d’une bataille dont l’enjeu est la liberté d’expression, qui, tout commandants le bloc soviétique, n’existe pas dans nos écoles américaines, où il est défendu par décret gouvernemental, même de proposer comme possibilité qu’il existe un créateur. Certes, la plupart de nos écoles ne sont pas – fort heureusement -marxistes. Cependant, nous n’avons pas la liberté d’enseigner que l’origine de l’univers soit dû à un Créateur plutôt qu’à une matière éternellement préexistante qui fonctipeutcontesterpeutcontesteronnerait selon les seules lois du hasard. Si l’on essaie à l’intérieur du système scolaire public d’exercer son droit à la liberté d’expression garanti expressément par la Constitution, en affirmant: « Non, l’ultime réalité n’est pas la seule matière, mais un Créateur vivant », on est passible de passer en tribunal. Il s’agit en fait d’une interdiction légale à enseigner un point de vue intellectuel autre que celui du matérialisme officiel. Remarquez qu’il ne s’agit pas ici d’une défense touchant à l’expression religieuse, mais d’une défense d’exprimer publiquement des positions intellectuelles contraires à l’orthodoxie matérialiste officielle. Aux chrétiens, je voudrais dire: la dégradation de la situation est bien plus avancée que la plupart d’entre eux ne l’imaginent. Introduire dans les procès en cours, que ce soit dans l’Arkansas, en Louisiane ou ailleurs, la controverse scientifique sur l’âge de la terre, manifeste une méconnaissance totale des priorités.

Ce n’est pas qu’un tel débat soit sans intérêt ou sans importance dans le contexte qui lui est propre. Mais introduire de telles considérations lorsque nous nous battons pour la liberté d’expression dans le système scolaire public, témoigne d’une méconnaissance radicale de l’enjeu véritable du combat actuel.

Suite à l’envahissement de nombreuses églises par une théologie libérale, le consensus humaniste a tout emporté et domine aujourd’hui de façon écrasante notre société tout entière. Le gouvernement de notre pays, le droit, les mass média et une très grande partie du système individuel de valeurs des citoyens, tous sont aujourd’hui presque entièrement imprégnés de relativisme moral. Dans une telle situation, on peut se poser la question: Quelles devraient être nos priorités pour les années quatre-vingts ?

Sans aucun doute, la prière est prioritaire. Il ne faut jamais la minimiser. Mais la sagesse est également nécessaire, et il nous faut la demander à Dieu. Ce que nous réclamons dans ces domaines, c’est cette liberté d’expression que la Constitution garantit à tout citoyen américain. Nous avons été privés de cette liberté d’une manière quasi totalitaire, tant dans les écoles publiques de notre pays que dans la plupart de nos médias, qui exercent une censure secrète à l’endroit de toute perspective chrétienne. Il est toujours plus difficile de surmonter une censure camouflée qu’une censure ouverte, parce que la dernière repose sur des règles juridiques que l’on peut àson àson àson àson contester. Il est presque impossible d’attaquer une censure cachée, Les chrétiens se trouvent devant une censure dissimulée presque totale sur les grandes chaînes de télévision et dans les autres médias. Cette censure cachée est absolument écrasante.

Ainsi donc les chrétiens doivent faire face, non seulement à une censure ouverte exercée par les tribunaux au sujet de leur liberté d’expression dans les écoles publiques, mais aussi à une censure cachée indirecte dans les médias. Nous devons continuellement garder à l’esprit que ce que nous voulons, c’est le droit à une vraie liberté d’expression. Disons-le sans ambages.

La toute première des priorités, sur laquelle je voudrais fortement insister, est la priorité de la vie humaine elle-même. Je mettrais cette question-là avant toutes les autres. C’est le problème crucial sur lequel les chrétiens doivent absolument prendre position.

Il nous faut comprendre que la vie humaine a un caractère tout à fait unique, parce qu’il existe un lien indissoluble entre l’existence d’un Dieu personnel et infini et la dignité unique et intrinsèque des hommes. Si Dieu n’existe pas et s’il n’a pas créé les hommes à son image, il n’y a aucun fondement pour l’affirmation d’une dignité unique et intrinsèque des hommes. Ni les Bouddhistes ni les Hindous ne la connaissent, et les Grecs ne la connaissaient pas non plus. Pour nous, le concept de la dignité de la vie humaine, concept qui conduit à une compassion réelle pour les hommes, va de soi. Il est enraciné dans notre héritage judéo-chrétien, dans le fait même qu’il existe un Dieu personnel et infini. Si ce Dieu personnel et infini n’existait pas, le fondement même de la dignité de toute vie humaine, la vôtre y comprise, disparaîtrait. L’attaque est ici dirigée dans deux directions à la fois, car si l’on détruit la dignité intrinsèque de l’homme, on détruit du même coup la croyance des hommes en l’existence d’un Dieu infini et personnel.
Par conséquent, la dévalorisation actuelle de la vie humaine est inacceptable par principe. Et si de telles questions de principe ne vous touchent pas, songez qu’en réalité c’est votre propre vie qui est dévaluée. Il ne s’agit pas seulement de la dévalorisation de l’enfant à naître, mais de celle de toute vie humaine. L’avortement ne devrait jamais être dissocié de cette dévalorisation générale de la vie humaine. L’histoire n’est jamais figée. D’abord, on accepte l’avortement. L’avortement à son tour conduit à l’infanticide. On en est très rapidement venu à laisser mourir de faim le nourrisson qui ne satisfait pas aux normes arbitrairement fixées de ce qu’est ou n’est pas une vie digne d’être vécue. En fait, pourquoi pas ? Si une mère peut supprimer la vie de son propre bébé, et cela uniquement en vue de son bonheur et de son confort personnel, malgré l’affirmation catégorique de la biologie qu’il s’agit d’un être entièrement humain, pourquoi ne le ferait-elle pas ? Aucun critère sépare logiquement l’avortement de l’infanticide.

Lorsque le Dr. C.E. Koop, Franky, mon fils, et moi-même avons commencé à travaillé sur le livre et le film « Whatever Happened to the Human Race? »*, nous disions que l’infanticide suivrait de très près la législation sur l’avortement. La plupart des gens pensaient certainement que nous exagérions. Mais des procès concernant l’infanticide sont maintenant dans nos tribunaux. Un tribunal a déclaré qu’il était parfaitement légal de laisser un bébé mourir de faim, si tel était le désir de ses parents. Le tribunal a décidé que si le fait d’avoir un enfant mongol ou souffrant du syndrome de Down (maladie guérissable par une opération relativement simple) était pénible pour ses parents, ils avaient le droit légal de laisser mourir leur enfant.

Ne comprenez vous donc pas ce qui est entrain de se passer? C’est la valeur même de la vie humaine, qui est remise en question, et non seulement la pratique de l’avortement, quelque puisse en être l’horreur. Mais ce n’est pas tout. On passe rapidement à l’étape suivante. On propose très sérieusement aujourd’hui d’avoir la liberté de faciliter l’élimination des vieux qui deviendraient une charge sociale, économique ou familiale. Si vous pensez qu’ici j’exagère à nouveau, observez ce qui se passe à présent en France, où le livre qui s’est le mieux vendu ces deux derniers mois avait pour titre: « Comment aider les gens à se suicider ». De même en Angleterre, où un groupe vient de publier un livre spécifiquement adressé aux personnes âgées leur indiquant la meilleure manière de se suicider. Il y a environ une année, je regardais à la télévision américaine l’émission populaire « 60 minutes ». Des deux sujets traités, l’un présentait un homme qui avait comme vocation de faciliter le suicide des personnes âgées. Selon l’habitude de ce programme qui s’incline devant la notion moderne d’une pluralité des valeurs, la vocation de cet homme a été présentée sans le moindre commentaire. Non, je n’exagère aucunement. Le fléau de l’euthanasie ne vous atteindra peut-être pas aussi rapidement que celui de l’infanticide, mais les événements se suivent avec une rapidité effrayante. Ne soyez donc pas stupidement aveugles! Il s’agit de votre vie à vous! Cela ne me touchera guère personnellement, vu que j’ai 70 ans. Mais si vous en avez 25, je peux vous assurer que si nous continuons à dévaluer la vie humaine à l’allure où nous le faisons, quand vous parviendrez à mon âge, votre situation sera dramatique. L’équilibre démographique aura été rompu, les personnes âgées deviendront toujours plus nombreuses. Vous serez alors un fardeau économique insupportable pour la partie active de la population. Vous serez broyé par cette machine inhumaine. Et je ne dis pas de telles choses pour jouer au prophète fanatiquement alarmiste. La rapidité avec laquelle nous sommes passés de l’avortement à l’infanticide prouve malheureusement trop bien que je ne me trompe pas.

Je termine en disant que si j’appartenais à un groupe minoritaire dans ce pays, je serais particulièrement anxieux. J’ai pu prendre connaissance de quelques chiffres instructifs. Faire avorter un bébé noir coûte $ 120 environ. Si on le laisse vivre, son éducation coûtera $ 20.000 à la société. Donc, faisons avorter l’enfant noir dans son ghetto. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose? Ne s’agit-il pas d’un phénomène du même ordre que la prétendue ‘solution finale » de Hitler ? Certains de mes amis noirs, comprenant des médecins et d’autres personnes compétentes, sont particulièrement préoccupés par ces problèmes. Une fois qu’on a enlevé l’obligation de protéger toute vie humaine, quelle qu’elle soit, il n’existe plus de raison pour que le processus s’arrête.

En accomplissant notre vocation prioritaire, qui est d’amener les hommes à Christ, nous ne devons jamais oublier que nous sommes également appelés à être le sel et la lumière de notre culture. Les hommes de notre génération – et personne ne le crDit plus que moi – sont perdus s’ils n’acceptent pas le Christ comme Messie. Non seulement ils sont perdus; ils sont brisés, ils sont blessés, ils sont envoie de perdre leur humanité ; ils se détruisent eux-mêmes, et tant de blessures leur arrachent des larmes et des gémissements. Ils n’ont pas la même notion de leur propre perdition, mais ils connaissent bien leurs propres blessures. Ils savent qu’ils sont une génération en quête de dignité humaine, et ils ne la trouvent pas.

Au milieu de cette culture et de cette société malheureuse en voie de décomposition, je voudrais insister avec la plus grande force possible que la première de toutes les priorités pour les chrétiens, qui sont le sel et la lumière de notre culture, est de défendre l’inviolabilité de la vie humaine par tous les moyens dont ils disposent, tant sur le plan publique que par les médias. C’est là notre première priorité. Et cette priorité, nous devons la tenir avec fermeté à toute épreuve.

Francis SCHAEFFER

Copyright Francis A. Schaeffer, 1982, « Priorities 1982 ». Extrait de deux discours donnés au mini-séminaire de l’Abri en i 982. (Permission de reproduction accordée d’avance>. Traduit et abrégé par J-M. Berthoud et J-P. Schneider.

F.A. Schaeffer et c. Everett Koop: « Whatever Happened to the Human Race? » (Mais que se passe-t-il dans la race humaine?) Fleming H. Reveil lOld Trappan N.J.),1979

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