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Le réveil évangélique en Russie

Ce réveil, qui eut lieu en fin du 19e siècle, fut ainsi caractérisé par Joachim Muller: « Une percée de vraie vie évangélique, trop peu connue, qui se produisit à un point décisif de l’histoire de l’Eglise et de l’histoire mondiale. »

Comme d’autres mouvements du même genre, ce réveil remit en valeur les éléments essentiels du christianisme en revenant à la source.

1. Origines

Lord Radstock, un jeune noble anglais qui s’était converti en 1855 dans la guerre de Crimée où il avait été gravement blessé, devint un des promoteurs du réveil évangélique qui prenait de l’extension en Angleterre vers 1860. Une conviction prit racine dans son coeur: aller annoncer la nouvelle du salut en Russie! Aussi pria-t-il pour ce pays pendant des années.

A Paris, qu’il visitait souvent, il témoignait de sa foi auprès de connaissances dans des maisons privées. Il y rencontrait aussi des gens de la noblesse russe de passage à Paris. Une dame de la haute aristocratie apparentée à la maison impériale avait entendu parler de Lord Radstock; « cet original » lui étant antipathique, elle s’apprêtait un jour à partir avant une réception pour éviter de le rencontrer. Mais il arriva plutôt que prévu et ils eurent un long entretien. Très impressionnée par ce jeune homme qui n’avait rien du beau parleur, elle l’invita à Saint-Pétersbourg pour y faire part de ses convictions. Quand il reçut d’autres invitations semblables, il comprit que la porte de la Russie était ouverte pour lui.

Lord Radstock fit donc le voyage à Saint-Pétersbourg en hiver 1874, après des années de prière et d’attente. Sa prédication reposait entièrement sur la parole de Dieu. Non seulement il ne cherchait pas à captiver l’audience par un discours recherché, mais ne sachant pas bien le russe. il était obligé de s’adresser en anglais ou en français à des gens instruits appartenant généralement à la noblesse et qui fréquentaient une chapelle anglo-américaine. Certains d’entre eux commencèrent à s’ouvrir spirituellement, se repentirent, firent le pas de la foi en la rédemption par le sang de Christ et firent l’expérience de la joie résultant du salut trouvé.

2. Premières conversions

Quelques personnes s’étaient déjà converties, telles que la princesse Lieven mère, et le comte Korff, maître des cérémonies à la Cour, qui s’occupait déjà de la diffusion des Ecritures. D’autres avaient des ressentiments contre le prédicateur anglais, tels que le colonel Vassili Pachkof, ancien officier de la garde, homme du monde affable et immensément riche. Un soir que sa femme avait invité Lord Radstock chez eux, son mari dut l’entendre, bon gré mal gré, parler de ses expériences et de la joie du salut. L’entretien se poursuivit au salon après le dîner, ce qui déplut au colonel Pachkof; mais quel ne fut pas son agacement quand Lord Radstock proposa qu’on s’agenouille pour prier! Cependant, par politesse, il s’agenouilla aussi. Tout à coup, de façon totalement inattendue pour lui, il se rendit compte que ce qui avait été dit du fils prodigue le concernait personnellement: il était, lui, un fils prodigue, un pécheur perdu. Il comprit qu’à cause du sacrifice du Christ à la croix, Dieu lui accordait le pardon. Quand il se releva, Pachkof était un homme nouveau, racheté par le sang de Christ!

Vassili Alexandrovitch (c.-à-d. fils d’Alexandre) Pachkof commença maintenant à prêcher 1’Evangile en russe à un cercle sans cesse grandissant. Sa résidence sur le quai de la Néva devint un centre d’évangélisation où se pressaient pêle-mêle élégantes et cochers, riches et pauvres sur les chaises revêtues de soie. Les filles du colonel Pachkof, du comte Pahlen et de la princesse Galitzine avaient formé un choeur et interprétaient des chants de réveil.

Par la Parole proclamée avec clarté et une profonde conviction par Vassili Pachkof, le Saint-Esprit produisit des miracles de renouveau: des pécheurs se repentaient, des conversions eurent lieu, conversions qui opéraient une coupure entre « l’autrefois » et « le maintenant » et qui changeaient des vies, spectaculairement pour les uns, plus insensiblement pour les autres.

Pachkof visitait hôpitaux et prisons. Avec ses nombreux amis, il inaugura une série d’oeuvres sociales. Il y eut des cas de guérison par la prière et une possédée fut délivrée. Certaines conversions eurent du retentissement, notamment celles parmi les étudiants souvent révolutionnaires et nihilistes.

3. Progrès
Voici quelques flashes qui illustrent bien ce qui se passait alors:
– Le comte Bobrinsky, ministre des communications, entreprit de démontrer à Lord Radstock que la Bible était pleine de contradictions. Après quelque temps il confessa : « Chaque verset de la Bible que je citais pour appuyer mon argument devint une flèche contre moi. Maintenant, je suis né de nouveau. »
– La princesse Gagarine, ayant été convaincue par le tout est accompli de Jésus à la croix, se leva avec courage au milieu de connaissances et membres de sa famille pour répondre à un appel à la consécration.
– Une des conversions qui fit du bruit fut celle de la veuve du général Tchartkof, qui amena d’autres au Seigneur, dont une bohémienne qui se mourait à l’hôpital.
Plusieurs oeuvres virent e oui. Ainsi furent fondés une société de traités et un petit périodique, « Le travailleur russe ». De nombreux cantiques furent composés ou adaptés de l’anglais. Cela se passait sous Alexandre II, tsar tolérant qui était en contact avec les évangéliques et qui projetait une loi garantissant la liberté de conscience.
Grâce à l’orientation que sut donner Lord Radstock dès le début, les évangéliques russes sont restés fortement enracinés dans la parole de Dieu jusqu’à ce jour.

4. Conflits et opposition

Le réveil spirituel s’étendait non seulement à Saint-Pétersbourg, mais dans de nombreuses villes et en province. Le clergé de l’Eglise orthodoxe voyait avec déplaisir l’expansion de ce grand mouvement, où les prières aux saints et la vénération des icônes n’étaient plus pratiquées. Or en Russie, Eglise et Etat étaient profondément liés.

Le 1er Mars 1881 se produisit l’attentat qui coûta la vie au Tsar Alexandre II. Le gouvernement voyait des dangers partout et devint radicalement réactionnaire. Le jeune Tsar Alexandre III était sous l’influence du procureur du Saint-Synode, un grand ennemi du mouvement évangélique.

Pendant ce temps se produisirent, aux confins de l’immense Russie, des mouvements de réveil semblables, mais sous d’autres noms, et Pachkof rêvait d’une Alliance Evangélique qui les réunirait tous. Il loua un grand hôtel tout entier pour inviter des délégués de toute la Russie et paya les déplacements à ceux qui n’en avaient pas les moyens. Le 1er Avril 1884, près de cent délégués se réunirent, mais le troisième jour, ils furent tous arrêtés à la sortie par un important corps de police, enfermés dans la forteresse Pierre et Paul, puis renvoyés à leur lieu d’origine avec l’interdiction formelle de revenir. Le comte Korff, puis le colonel Pachkof furent convoqués par le ministre de la justice, pour les sommer d’arrêter toute activité religieuse, sous peine d’expulsion. Ne pouvant accepter cela, on leur donna deux jours pour quitter la Russie. Plus tard Pachkof mourut à Rome et Korff à Bâle.

En 1891, le ministre des cultes, Pobiedonostef, convoqua une grande conférence ecclésiastique à Moscou, tellement les autorités étaient alarmées devant les progrès rapides des hérésies baptistes, stundistes et « pachkovites ». Des statistiques prouvaient que sur les 41 diocèses, 28 étaient gravement « infectés » et que la « virulence de l’infection » était telle qu’elle dépassait la compétence du clergé. Y voyant un grave danger pour l’Etat, on imposa un code pénal dont je ne cite que l’article 196 « Celui qui répand les opinions des hérétiques ou dissidents ou les aide, sera puni de bannissement en Sibérie, Transcaucasie ou autres endroits éloignés de l’Empire.

On peut imaginer les persécutions, les emprisonnements, les transports inhumains, les camps en Sibérie, sans parler des tortures de beaucoup de ces « hérétiques ».

5. Des femmes qui portent le flambeau

A Saint-Pétersbourg, deux femmes continuaient avec un important groupe de croyants. La princesse Lieven mère reçut un jour la visite d’un adjudant général du tsar qui venait l’informer que le souverain ne désirait pas que les réunions continuent dans sa maison. La princesse parla très librement avec cet officier, que d’ailleurs elle connaissait, du salut en Christ et du bonheur d’être libéré, puis elle lui offrit un Nouveau Testament. Elle le chargea de demander à Sa Majesté à qui elle devait obéir en priorité: à Dieu ou à César ? La même démarche fut faite auprès de Mme Tchertkova, également veuve, et dont la résidence était un lieu de réunions évangéliques.

Quand on rapporta au tsar le résultat de ces démarches, il s’exclama: « On ne peut tout de même pas importuner ces deux veuves ! » C’est ainsi que les réunions chez elles continuèrent et même essaimèrent dans un autre quartier de la ville, où Mme Tchertkova avait fait transformer une villa en lieu de réunions.

Importunés par la surveillance de la police omniprésente, Kargel et Bobrinsky se retirèrent dans les provinces où ils continuèrent d’évangéliser. Quant aux réunions de Saint-Pétersbourg, elles se poursuivaient avec des frères qui, s’ils n’étaient souvent pas préparés, étaient brûlants de zèle.

6. Encouragements

Le passage de divers visiteurs encourageait et fortifiait les croyants, qui prenaient conscience de la grande communauté mondiale des rachetés.

Le Dr Baedecker, fameux évangéliste doté d’un flair de diplomate, obtint l’autorisation de visiter les croyants dans les prisons du Caucase et de la Sibérie, où il fit d’immenses voyages. Georges Muller, homme de foi bien connu, put lui aussi aller visiter et encourager les chrétiens persécutés.

La comtesse Hélène Chouvalof, épouse du chef suprême de la gendarmerie de l’Empire, était une femme originale. Croyante fervente, elle invitait des fonctionnaires supérieurs à dîner, dans le but de leur demander la grâce ou une réduction de peine pour tel ou tel croyant – et elle réussissait! En plus, elle organisait des réunions évangéliques au sous-sol de leur résidence, qui était donc celle du chef de la gendarmerie, alors qu’elles étaient strictement interdites…

7. Liberté religieuse de 1905

Suite à un soulèvement révolutionnaire de cette année, le Tsar Nicolas Il décréta la liberté de conscience. Ce fut en avril 1905 que, dans la grande salle de réunions de la princesse Lieven. un frère put donner lecture du manifeste accordant la liberté religieuse. Toute l’assemblée, les visages baignés de larmes de joie, se mit à genoux pour louer Dieu de ce cadeau si longtemps attendu.

C’est à cette époque que mon père était à l’oeuvre à Saint-Pétersbourg. Dans ses Mémoires, il raconte les événements extraordinaires de ces temps.

Rodolphe BRECHET
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