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Une décision cruciale

Chaque décision ferme est l’expression d’un choix parmi plusieurs possibles. Des options différentes se présenteront d’elles-mêmes au dépens des autres. Avant d’arriver à Corinthe, Paul prit une décision résolue: «J’ai décidé dit-il de ne savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié». (1 Cor 2.2). Quelque part derrière la décision de Paul se cachait donc une alternative: la tentation de prêcher Christ sans la croix, ou alors ne pas prêcher Christ du tout mais plutôt la sagesse du monde.

Pourquoi Paul devait-il prendre une telle décision en arrivant à Corinthe? Qui étaient ces Corinthiens qui l’intimidaient au point qu’il vint vers eux «dans un état de faiblesse, de crainte et de grand tremblement»? (1 Cor 2.3). Quelles objections avaient-ils envers le message du Christ et de la croix?

Je croix très important d’approfondir ces questions car, se faisant, nous mettrons à jour les principales objections que l’Evangile soulève aujourd’hui. Nous verrons clairement aussi pourquoi nous avons besoin d’adopter une décision semblable à celle que Paul prit il y a plusieurs siècles.

Une décision cruciale – suite.

Une objection intellectuelle

La première objection à laquelle Paul dû faire face est d’ordre intellectuel. – La folie de Christ crucifié -. Il avait déjà rencontré cette objection à Athènes (Actes 17) et les Philosophes de là-bas ne l’avaient pas ménagé.

Ils l’avaient appelé «picoreur» (spermologos) car ils pensaient qu’il prenait de-ci de-là des fragments de connaissance et qu’il n’avait pas en tête d’idée originale.

Ils le raillaient: «Qu’est-ce que veut dire ce picoreur?» et lorsqu’à la fin de son discours il parla de la résurrection des morts, il se moquèrent et rirent aux éclats. […]

Il y a peu de doute que les Corinthiens réagirent de la même manière quand Paul a prêché Christ et la croix. D’ailleurs Paul nous dit que la croix était une folie pour ceux qui périssaient (1 Cor 18.23).

Pour les Juifs incroyants il était inconcevable que le Messie meure sur un bois, lieu de la malédiction divine; pour les grecs incroyants, il était grotesque qu’un Dieu immortel puisse mourir.

Inutile de préciser que le message du Christ et de son sacrifice est du point de vue intellectuel autant détesté aujourd’hui qu’il l’était au premier siècle à Athènes ou accordant. Ce message est qualifié de primitif, injuste, immoral, barbare et non crédible.

Nietzsche qui vénérait la puissance, détestait Jésus pour sa faiblesse et il réserva ses invectives les plus amères pour la conception chrétienne d’un Dieu qui serait «Dieu des malades, Dieu béquille»; ainsi que pour le Messie qu’il rejette avec mépris comme «Dieu sur la croix».

Le professeur Alfred Ayer, philosophe de la linguistique à Oxford, a dit qu’il y a de bons arguments pour considérer le Christianisme comme la pire des religions d’importance historique. Pourquoi? Parce que, dit-il, elle repose sur les doctrines conjointes du péché originel et de l’expiation vicaire qui sont méprisables intellectuellement et outrageantes moralement. […]

N’espérez pas être un prédicateur à la mode si vous prêchez Christ crucifié. La croix du Christ est encore folie aux yeux du sage selon ce monde.

Une objection religieuse

Une deuxième objection était d’ordre religieux: c’est le caractère exclusif de l’Evangile. Corinthe n’était pas moins idolâtre qu’Athènes […] On y honorait plusieurs dieux, et ces dieux se toléraient réciproquement en une amicale coexistence. Les Corinthiens n’auraient pas élevé d’objection si les chrétiens s’étaient contentés d’ajouter Jésus à leur panthéon. Il n’y avait pas de limite au nombre de dieux qu’ils étaient prêts à adorer.

Mais l’apôtre Paul avait autre chose en tête. Il voulait que Corinthe, avec tous ses habitants et tous ses dieux, se prosterne et adore le seul Jésus. Il vint à Corinthe pour annoncer Jésus comme l’unique Sauveur des pécheurs et le seul Seigneur à adorer. Il déclara que bien qu’il y ait plusieurs «dieux» et plusieurs «seigneurs», il n’y a en fait qu’un Dieu, le Père, par qui et pour qui toute chose existe, et il y a un seul Seigneur, Jésus-Christ, par lequel naquit l’univers et à travers lequel nous existons (1 Cor 8.56). […]

La situation religieuse du monde n’a pas beaucoup changé. Il est vrai que les anciens dieux grecs ou romains ont été oubliés depuis longtemps, mais il y a de nouveaux dieux qui les ont supplantés.

Le caractère pluraliste de la religion en Europe va croissant. Non seulement les anciennes religions orientales connaissent une résurgence mais de nouveaux cultes émergent comme ce qu’on nomme le mouvement du «Nouvel Age». Ce que les gens veulent en Europe c’est un syncrétisme facile, une trêve dans les conflits religieux et un amalgame de ce que chaque religion offre de meilleur.

Mais nous, chrétiens, nous disons non! Nous prétendons que Jésus-Christ est unique et définitif, car il n’a ni successeur, ni semblable, ni rival.

Il est le seul médiateur entre Dieu et l’homme, homme lui-même, qui donna sa vie en rançon pour la multitude. (1 Tim 2.5-6) et il n’y a de salut en aucun autre (Actes 4.12). Il a été élevé pour que tout genou fléchisse devant lui et que toute langue le confesse comme Seigneur (Phil. 2.9-11).

Cette prétention à l’exclusivité concernant Jésus provoque aujourd’hui un profond ressentiment. Elle est considérée comme intolérablement intolérante et comme la marque d’une excessive étroitesse d’esprit.

Une objection personnelle

En troisième lieu, il y avait une objection de type personnel, à savoir la résistance à l’abaissement de l’orgueil humain.

L’idée que les êtres humains sont parfaitement capables d’accomplir leur propre salut est commune à toutes les religions – excepté le christianisme. Par l’accumulation de leurs mérites ils peuvent gagner le salut qu’ils recherchent. Or cette doctrine d’un salut par soi-même est très flatteuse pour notre estime personnelle, très séduisante pour l’orgueil humain. Les Corinthiens ne faisaient pas exception: Ils étaient très fiers de leur ville, de leur commerce, de leur prospérité, de leur bien-être, de leur intelligence, de leur culture et de leur religion. […]

Quand Paul arriva, il eut l’effronterie de dire à ces fiers Corinthiens que ni leur sagesse, ni leur richesse, ni leur religion, ni rien ne pouvait les sauver du jugement de Dieu, excepté Jésus-Christ, Ils ne pouvaient en rien contribuer à leur salut, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Christ était mort pour eux; sans lui ils périraient.

Pour qui Paul se prenait-il pour insulter les Corinthiens de cette manière?

La croix était une retentissante humiliation pour un peuple orgueilleux. Elle l’est aujourd’hui encore. Comme Emil Brunner l’a dit dans son ouvrage «Le Médiateur», dans toutes les autres religions «il est épargné à l’homme l’humiliation finale de savoir que le Médiateur devra subir le châtiment à sa place… il n’est pas mis radicalement à nu». Mais l’Evangile nous met à nu et nous déclare «en faillite». La seule manière de venir à Christ, c’est les mains vides, dans l’attente de la grâce.

Christ est mort pour nous. S’entendre dire cela est une offense pour notre orgueil car nous ne pouvons pas gagner notre propre salut.

Une objection éthique

Quatrièmement, Paul rencontra une objection d’ordre moral, liée à l’appel à la repentance et à la sainteté.

Corinthe était un centre commercial florissant. Elle commandait les routes du commerce vers le nord, le sud, l’est et l’ouest. La ville était pleine de marchands, de voyageurs et de marins. Etant étrangers dans cette ville étrange, ils se souciaient peu de retenue morale. De plus la déesse Aphrodite, que les Romains appelaient Vénus, la déesse de l’amour, rassemblait ses courtisans dans son temple sur l’Acro-Corinthe.

Elle encourageait la promiscuité sexuelle parmi ses adeptes en fournissant même un millier de prostituées qui marchaient la nuit dans les rues de Corinthe. […]

Dans une ville immorale comme Corinthe, vous pouvez difficilement vous attendre à ce que les gens accueillent l’Evangile de Christ, avec ses appels à la repentance, ses avertissements à ceux qui se livrent à de telles pratiques et par conséquent n’hériteront pas du royaume de Dieu (1 Cor 6.9). Avec encore son insistance sur le fait qu’après la justification vient la sanctification et avec la sanctification vient la glorification, lorsque le mal aura été aboli.

Le monde actuel n’est pas plus complaisant envers l’Evangile que ne l’était Corinthe. En effet ne dit-il pas: «Des absolus moraux, cela n’existe pas. Il n’y a pas de morale sexuelle, tout au plus des préférences sexuelles: Si cela vous tente, faites-le. Ce n’est qu’une affaire de mode, ce sont les manières d’aujourd’hui. De plus, nous savons de nos jours qu’il est mauvais de se retenir et que la permissivité est bonne. Le christianisme avec toutes ses interdictions est l’ennemi de la liberté.»

Telle est l’objection morale à l’Evangile que nous rencontrons aujourd’hui.

Une objection politique

En dernier lieu s’élevait une objection politique: la souveraineté de Jésus-Christ. Il y avait beaucoup de ferveur patriotique, voire même de fanatisme politique dans l’empire romain. Les procurateurs romains loyaux l’encouragaient et agissaient avec violence pour briser toute tentative de rebellion contre Rome. La Palestine le savait à ses dépens.

Il est bon de se souvenir que Jésus a été condamné dans un tribunal romain pour un délit politique – sédition – pour avoir prétendu qu’il était un Roi alors qu’il n’y avait qu’un seul Roi, César.

Paul et Silas à Thessalonique ont été accusés de défier les décrets de César en disant qu’il y avait un autre roi qui s’appellait Jésus (Actes 17.7).

Ces accusations étaient-elles fondées ou infondées?

Les deux à la fois, suivant comment vous les comprenez. Ni Jésus, ni les apôtres n’ont fomenté une rebellion armée contre Rome. Ils n’étaient pas des Zélotes, ils ne croyaient pas en la violence. Mais ils proclamaient que Jésus était Roi et que Dieu l’avait élevé au-dessus de toutes les principautés et puissances dans le ciel et sur la terre, et qu’il dominait même César.

Les premiers chrétiens refusaient de répandre l’encens sur le feu qui brûlait devant le buste de César et de dire «César est Seigneur».

Non, disaient-ils «Jésus est Seigneur». Ils étaient prêts à être jetés aux lions plutôt que de renier l’autorité suprême de Jésus.

De nos jours encore, la chose essentielle qu’un régime totalitaire ne peut supporter est de se voir refuser la soumission totale qu’il exige.

Les chrétiens doivent se soumettre à l’Etat tant que leur conscience le leur permet; mais bien sûr, la désobéissance civile existe dans la Bible. Si l’Etat nous commande de faire ce que Dieu interdit, ou nous interdit de faire ce que Dieu demande, nous devons désobéir à l’Etat pour obéir à Dieu. Nous ne pouvons pas adorer l’Etat, faire à son égard acte d’allégeance inconditionnelle.

Jésus est mort et ressuscité afin d’être Seigneur des vivants et des morts. Il nous a sauvés et fait siens, de manière à ce que nous lui donnions notre allégeance suprême. Nous ne la donnerons pas à l’Etat, ni à personne d’autre.

Voici donc cinq objections à l’Evangile de Christ et de Christ crucifié, objections que Paul s’attendait à rencontrer à Corinthe. Il savait que son message serait considéré comme stupide intellectuellement – incompatible avec la sagesse – religieusement exclusif – incompatible avec la tolérance: personnellement humiliant – incompatible avec l’estime de soi; moralement exigeant – incompatible avec la liberté; et politiquement subversif – incompatible avec la loyauté envers César.

Rien d’étonnant à ce Paul ait à prendre une décision. Rien d’étonnant à ce qu’il soit venu à Corinthe dans la faiblesse, rempli de peur et de tremblements. Il devait prendre une décision positive pour prêcher Christ, l’Evangile de Dieu concernant Jésus-Christ et particulièrement sa crucifixion, et il devait prendre une décision négative contre la sagesse du monde et toutes les alternatives terrestres à l’Evangile.

Ces Corinthiens du 1er siècle sont représentatifs: le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est tout aussi hostile à l’Evangile. Nous nous abusons nous-même si nous imaginons que nous pouvons rendre populaire l’Evangile authentique.

Ne vous méprenez pas sur le sens de mes paroles: l’Evangile véritable est une musique aux oreilles des pécheurs qui savent qu’ils sont moralement en faillite et n’ont rien à offrir en compensation.

Il promet le repos à celui qui est faible, la paix à celui qui est dans la crainte, le pardon au coupable et la liberté à ceux qui sont en esclavage. Mais pour les orgueilleux, il ne sera jamais populaire.

L’Evangile est trop simple en une époque de rationalisme, trop étroit à l’âge du pluralisme, trop humiliant à l’âge de la confiance en soi; trop exigeant à l’âge de la permissivité et trop peu patriotique à l’époque des nationalismes aveugles.

Nous devons prendre ainsi une décision entre la sagesse du monde, qui est folie aux yeux de Dieu, et la folie de la croix qui est la sagesse de Dieu. Paul a pris sa décision.

Nous devons prendre la nôtre. Qu’allons-nous partager avec nos amis? Le véritable Evangile ou un évangile qui a été corrompu dans le but de satisfaire l’orgueil humain? Nous ne pourrons pas échapper à cette décision.

Dr John Stott

«Car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié.» (1 Cor 2.2)

Avec la permission de Dr Stott.

    * Extraits d’un exposé biblique que John Stott a donné à Wurzburg, Pâques 1988, au Congrès Européen de l’IFES, consacré à l’évangélisation, paru dans IFES Overvicw 88/89 sous le titre «Crucial Decision ». Ce texte a été traduit par Louis Jeanjean (Lausanne).

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Stott John
Théologien anglican bien connu, John Stott (né en 1921, actuellement à la retraite) est l'auteur d’une cinquantaine d’ouvrages. Longtemps pasteur de All Souls Church, au centre de Londres, il a exercé une forte influence sur les églises chrétiennes évangéliques partout dans le monde. Certaines de ses prises de positions ont été contestées, mais il reste néanmoins un commentateur fin et apprécié. Le sujet du jeûne ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut, chez les chrétiens. Il est donc peu souvent abordé, que ce soit par écrit ou lors de prédications. Dans ce numéro sur la vie de piété, il nous a semblé important de ne pas l’éluder. L’article qui suit est extrait du livre de John Stott, Matthieu 5-7, Le sermon sur la montagne, paru au Presses Bibliques Universitaires (PBU) en 1987 (actuellement épuisé). Les Groupes Bibliques Universitaires (GBU) continuent de publier des ouvrages sous le sigle PBU (voir www.gbu.fr). Cet extrait offre une réflexion intéressante et assez équilibrée sur le jeûne — même si l’approche proposée ne doit pas être prise comme une norme de conduite. Dans ce sujet pratique comme sur d’autres, laissons-nous conduire par l’Esprit.