Le livre du prophète Zacharie : une récapitulation et une anticipation

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1-L’époque

En -538, un édit de Cyrus, l’empereur de Perse vainqueur de l’empire babylonien, avait permis un premier retour des Juifs sur leur terre.
Environ 42 000 d’entre eux, conduits par Zorobabel, étaient remontés de captivité. La petite province de Yehud n’était toutefois qu’une petite subdivision administrative au sein d’Eber Nari, l’une des 127 satrapies1 de l’empire perse.
Les Juifs avaient commencé la reconstruction du temple, mais, découragés par l’opposition des chefs d’alentour, avaient vite arrêté.
C’est alors que, en -520, Dieu suscita les prophètes Aggée et Zacharie. Leur prédication vigoureuse permit la reprise des travaux et le temple fut achevé début -515. Les ch. 1 à 8 de Zacharie sont datés précisément de cette période.
Plus tard, après la mort de Zorobabel vers -510, les leaders juifs s’éloignèrent de Dieu et opprimèrent le peuple. Les ch. 9 à 14 se font l’écho de cette période troublée2.

Les destinataires

Le contexte historique

Le livre du prophète Zacharie témoigne de l’état d’esprit des Juifs de son temps. Ce « reste » remonté de Babylone en -538/536 était :
• spirituellement distrait (1.3-4),
• émotionnellement découragé (8.6),
• culturellement tenté de revenir à l’idolâtrie de leurs voisins (10.2),
• cultuellement attiré par une religion formaliste (cf. la discussion sur le jeûne, ch. 7 et 8),
• politiquement dominé par de mauvais dirigeants (11.5).

2. L’écrivain

Qui est l’homme qui va s’adresser à cette assistance un peu découragée  ? Zacharie porte un nom commun qui signifie «  ’Éternel se souvient  » —significatif dans son cas puisqu’il va rappeler au peuple la façon dont les promesses de Dieu vont s’accomplir.
Fils de Berekiah, et petit-fils d’Iddo (1.1  ; Esd 5.1  ; 6.14  ; Néh 12.16), un exilé remonté de Babylone avec Zorobabel (Néh 2.1-4), Zacharie appartient à la tribu de Lévi, comme en témoignent des détails liés au sacerdoce (3.1-10 ; 9.8,15 ; 4.16,20,21). On peut penser qu’il était jeune au moment de ses premières prophéties (2.3). Certains commentateurs pensent que Jésus ferait allusion à sa mort violente dans sa diatribe contre les pharisiens (Mat 23.35), mort qui serait la conséquence de sa dénonciation des dirigeants corrompus de l’époque.
S’il est sacrificateur, Zacharie est avant tout un prophète, reconnu comme tel par le livre d’Esdras (Esd 5.1 ; 6.14) et par les suscriptions de son propre livre (1.1 ; 7.1). Il est aussi peut-être poète, car la LXX lui attribue les Ps 137 et 145 à 150, la Vulgate les Ps 111 et 145 et la Syriaque les Ps 125 et 145 à 148. Il est donc sans doute un des compilateurs du 5 e livre des Psaumes, voire plus. Difficile d’en dire davantage : le livre ne donne pas beaucoup de détails sur son auteur..

3. L’écriture

Le style

Jérôme, le traducteur de la Bible en latin, a reconnu dans son commentaire sur Zacharie que ce livre est «  des plus obscurs  ». Cette œuvre, la plus longue des 12 petits prophètes, se caractérise par son «  style souvent concis au point de friser l’incompréhensible  »3 . Ses phrases sont très ramassées et très denses, elles contiennent d’innombrables allusions à des textes antérieurs de l’A.T. Il déroute par ses changements brutaux de pronoms4 et ses ruptures.
Le style de Zacharie est aussi fondamentalement imagé  ; il constitue l’apogée du style dit «  proto-apocalyptique  », dont Ésaïe 24-27, Ézéchiel et Daniel avaient déjà donné des exemples5 . De ce fait, il convient de ne pas prendre les symboles, qui abondent dans ces 14 chapitres, au pied de la lettre.
Par exemple, lorsque nous lisons : « En ce jour-là, une source sera ouverte pour la maison de David et les habitants de Jérusalem, pour le péché et pour l’impureté  » (13.1), n’imaginons pas une source littérale. La source d’eau symbolise ici la purification morale des souillures du péché.

Quelques mots-clefs

Les mots-clefs sont  : Jérusalem (41 mentions), la maison (30), les armées (53) — en particulier l’Éternel des armées — Juda (23) et les nations (21). Le vocabulaire est riche : sur 5 573 mots, 1 053 sont différents dont 577 utilisés une seule fois.

Les intertextualités

La compréhension du texte nécessite souvent de repérer les allusions à des textes d’autres prophètes ou d’autres livres de l’A.T. Zacharie fait d’ailleurs appel à ses prédécesseurs, les « premiers prophètes » (1.4,6 ; 7.7,12). C’est dans ce sens que ce
livre est une « récapitulation ». Les rappels de textes antérieurs se marquent par la reprise de mots rares, de thèmes (ex  : le Germe), d’enchaînements, etc.
Limitons-nous à un seul exemple : au ch. 3, Zacharie voit Josué, le souverain sacrificateur «  couvert de vêtements sales ». « Sales » est un hapax6 mais il est étroitement relié à deux mots rares utilisés pour des excréments humains et pour du vomi (cf. Deut 23.14 ; Éz 4.12 ; 2 Rois 18.27 ; És 36.12 ; És 4.4 ; 28.8 ; Prov 30.12). Plusieurs de ces textes sont très utiles pour cerner ce à quoi Zacharie voulait faire allusion en choisissant ce terme « sales ».

Les horizons

Comprendre la prophétie de Zacharie nécessite enfin de distinguer 3 horizons temporels :
• L’horizon immédiat du retour de l’exil : Zacharie s’adresse à ses contemporains dans leur condition historique du moment ;
• L’horizon plus lointain, celui de la venue du roi messianique
• L’horizon encore plus lointain, avec la bénédiction et le jugement finaux.
Cette distinction nous apparaît aujourd’hui, mais elle n’était pas forcément évidente pour les premiers lecteurs du livre  ! De plus, Zacharie passe parfois très vite d’un horizon à l’autre et s’il est des textes faciles à assigner à l’un des trois (e.g. 9.9), d’autres sont susceptibles d’accomplissements partiels en attendant une réalisation finale complète encore future.
• L’horizon encore plus lointain, avec la bénédiction et le jugement finaux.

4. L’écrit

Pour établir le plan d’un livre biblique, on peut
utiliser trois approches :

  • L’approche chronologique permet de diviser Zacharie en 4 parties  : les 3 premières sont introduites par des dates précises (1.1, 1.7 et 7.1) ; la 4 e (à partir de 9.1) n’est pas datée.
  • L’approche littéraire n’est pas d’une grande aide ici, car les passages en prose et en poésie sont entremêlés.
  • L’approche thématique est bien plus féconde : à un appel (1.1-6), succède une série de 8 visions (1.7-6.15), suivie par des messages (7.1-8.23) et le livre se conclut par 2 oracles (9.1-11.17 et 12.1-14.21).
    Ces 4 parties coïncident donc avec l’approche chronologique.

C’est ainsi qu’il est possible de résumer le plan de Zacharie par le nombre « 1842 » :

Sans rentrer dans le détail de chacune des 4 parties, relevons que :

  • Les 8 visions7 s’agencent selon une symétrie remarquable, avec des oracles8 interprétatifs en appendice des 2 visions centrales, ainsi que de la 1 re et de la 8 e . L’oracle final constitue l’apothéose de ces chapitres avec le signe-acte des couronnes sur la tête du grand prêtre Josué.
  • Les 4 messages des ch. 7 et 8 sont introduits par « la parole de l’Éternel fut adressée » : à la question initiale des gens de Béthel, Dieu répond par 4 messages.
  • Le plan des 2 oracles finaux est moins évident. Le 1 er , qui couvre 3 ch., présente surtout le Roi-berger et le second, qui couvre aussi 3 ch., surtout le Roi-conquérant. Le Pr. Lamarche a discerné une structure en « W »9 qui en éclaire le sens. D’autres propositions ont aussi été avancées.

5. L’enseignement

L’enjeu des 70 ans

Avant la conquête de Juda par les Babyloniens, Jérémie avait annoncé que le peuple serait en captivité pendant 70 ans (Jér 25.11-12) puis que l’Éternel ferait revenir le peuple dans son pays (Jér  29.10). Mais cette période de 70 ans était comprise de deux manières différentes :

  • Daniel, vers -539, comprit que l’accomplissement des 70 ans était arrivé (Dan 9.1-2). Déporté en -606, cela faisait presque 70 ans qu’il était en Chaldée et l’édit de Cyrus allait marquer la fin de cette triste période.
  • Zacharie, vers -520, comprit les 70 ans d’une autre manière : « L’ange de l’Éternel prit la parole et dit : Éternel des armées, jusqu’à quand n’auras-tu pas compassion de Jérusalem et des villes de Juda, contre lesquelles tu es irrité depuis soixante-dix ans ? » (1.12, voir aussi 7.5). Le point de départ est cette fois-ci la destruction du temple en -586,
    temple dont la reconstruction sera achevée en -515, environ 70 ans après !
    Les deux approches sont à la fois scripturaires et complémentaires.

L’objet du livre

Le retour annoncé en Judée et à Jérusalem a donc bien eu lieu, mais…
• l’indépendance politique n’existe pas : le peuple reste sous la domination perse ;
• la gloire de Dieu n’est pas revenue dans le 2e temple (malgré Agg 2.9) ;
• l’effusion de l’Esprit n’a pas eu lieu  : le peuple reste pécheur et infidèle ;
• la dynastie de David n’est pas rétablie : Zorobabel, son descendant, n’est qu’un sous-gouverneur…

En fait, Zacharie est un livre dans le « déjà » et le « pas encore ». Les promesses de Dieu se heurtent à une dure réalité. Du côté du « déjà », une partie des prédictions d’Ésaïe (40-66), Ézéchiel (33-37), Jérémie (25-33) se sont réalisées — et c’est l’accent principal des ch. 1 à 8. Du côté du « pas encore », l’attente messianique demeure et la victoire divine finale n’est pas advenue — et c’est l’accent principal des ch. 9 à 14. Dieu est bien là, il délivre son peuple et permet que la maison soit achevée, mais la pleine réalisation des promesses est encore à venir. Elle n’est pas possible dans un peuple qui reste pécheur
et qui n’est pas encore au bénéfice d’une œuvre qui va venir dans le futur.
La situation des contemporains de Zacharie fait écho à la nôtre, même si nous sommes, contrairement à eux, après la Croix. Mais comme eux, nous bénéficions déjà d’une partie des promesses divines, dont l’Esprit est les arrhes, tout en attendant une victoire finale qui n’est pas encore là.

Le messianisme

L’attente messianique, alimentée entre autres par les grands textes d’Ésaïe 40 à 66, restait toujours en suspens : le peuple vivait depuis quelques décennies déjà dans le pays après son retour et le Messie n’était toujours pas là. La double figure d’autorité pour le peuple remonté avec Zorobabel et Josué, si souvent mentionnés ensemble (Esd 2.2 ; cf. 4.3 ; 5.2 ; Néh 7.7 ; 12.1), faisait écho (de façon très imparfaite !) au duo Moïse-Aaron d’autrefois. Royauté et sacrificature restaient distinctes. Mais, ô surprise ! à la fin des 8 visions, Dieu annonce lui-même que la royauté et la sacrificature seront réunies ! « Il sera sacrificateur sur son trône. » (6.13). Historiquement, rien ne dit que Josué ait « régné » d’une quelconque manière et si la branche sacerdotale a pris plus tard le pouvoir dans la période intertestamentaire, elle n’a pas du tout réalisé cette prophétie. Et, notons bien : le sacrificateur devient roi (et non l’inverse !).
Jésus, qui, finalement, accomplit cette prophétie, a été sacrifié (Héb 7.26-27) avant de régner. Jésus offre sa vie (Mat 27) avant de recevoir toute autorité (Mat 28).
Les divers titres du Messie sont ainsi réunis de façon successive et extraordinaire : le serviteur et le Germe sont une seule personne (3.8) qui est aussi sacrificateur-roi (6.12-13). Ce roi humble (9.9) est aussi le vrai Berger (11.4), le compagnon de l’Éternel (13.7), celui qui a été percé (12.10) — Jésus-Christ, Dieu fait homme, qui concentre dans sa seule personne glorieuse tous ces noms !

Conclusion

En conclusion, le livre de Zacharie est à la fois une récapitulation de l’A.T. et en particulier des « premiers prophètes » et une anticipation du N.T. où il est si souvent cité 10
• un livre qui anticipe Jésus-Christ comme peu d’autres dans l’A.T. (avec Ésaïe et les Psaumes) ;
• un livre qui se situe dans un « déjà » et un « pas encore » qui fait écho à notre situation ;
• un livre qui ranime notre espérance dans la venue et le triomphe de Dieu ;
• un livre qui enfin stimule notre sainteté puisqu’il se clôt par cette annonce  : «  Toute marmite à Jérusalem et dans Juda sera consacrée à l’Éternel, le maître de l’univers. » (14.21, S21). Cette vision holistique de la vie du croyant est reprise par Paul lorsqu’il dit : « Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. » (1 Cor 10.31). Elle nous encourage, à la suite de ce prophète, à anticiper, dans un « déjà » qui ne
sera jamais parfait, un peu le « pas encore » qui va venir, quand Dieu sera révélé dans sa sainteté, lorsqu’il n’y aura plus de péché et que la victoire remportée à la croix aura son parachèvement.



  1. Une satrapie était la division administrative principale de l’Empire perse.
  2. Une satrapie était la division administrative principale de l’Empire perse
  3. Brian Tidiman, Le livre de Zacharie , CEB, Edifac, 1996, p. 17.
  4. Litt. 14.5 se lit : « L’Éternel, mon Dieu, viendra, et tous les saints avec toi. »
  5. On parle de style « proto-apocalyptique » pour distinguer ces textes du style
    apocalyptique proprement dit qui se développera dans la période inter-
    testamentaire.
  6. Mot qui ne figure qu’une seule fois dans le texte original hébreu de l’A.
  7. Ces 8 sections commencent toutes par une formule du style : « Je regardai » ou « je
    levai les yeux ».
  8. Un « oracle » est un « fardeau » (autre sens du mot) que Dieu donne à un prophète pour apporter de sa part une prophétie ou un message particulier.
  9. Paul Lamarche, Zacharie IX-XIV, Structure littéraire et messianisme, Gabalda, 1961.
  10. On dénombre 11 citations directes et 64 allusions du livre de Zacharie dans le N.T.,concentrées dans les Évangiles et l’Apocalypse.

Le livre du prophète Zacharie

Image de Prohin Joël

Prohin Joël

Joël Prohin est marié et père de deux filles. Il travaille dans la finance en région parisienne, tout en s'impliquant activement dans l’enseignement biblique, dans son église locale, par internet, dans des conférences ou à travers des revues chrétiennes.

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