Cohabitation  ou communion  entre évangéliques ?

Écrit par

 –  Publié dans

Étienne Lhermenault

Les quelques réflexions qui suivent m’ont accompagné dès les débuts du ministère. Et les convictions dont elles témoignent se sont renforcées lorsque j’ai eu des responsabilités nationales. 

1. Une réalité méconnue :  l’interdépendance des églises

La communion entre églises évangéliques n’est pas une option. Le N.T. atteste avec passablement d’ampleur une réalité que nous méconnaissons souvent : l’importance des liens qui existent entre les églises de la période apostolique.
Le livre des Actes et les Épîtres — de Paul en particulier — témoignent de nombreux échanges : échanges de nouvelles et de salutations (cf. Rom 16), circulation de lettres, visites entre églises. À y regarder de près, il y a là tous les indices d’une intense circulation des chrétiens entre les communautés des divers lieux.
Ces échanges fraternels prennent aussi la forme de véritables collaborations.
Ainsi l’église de Jérusalem délègue Barnabas à Antioche pour veiller sur la croissance de cette église naissante (Act 11). Et l’église d’Antioche, à son tour, délègue un peu plus tard Barnabas, Paul et d’autres frères à Jérusalem pour régler le conflit relatif à la circoncision (Act 15, la conférence de Jérusalem).

En d’autres temps et d’autres lieux, c’est l’église de Philippes qui soutient Paul de ses dons matériels alors qu’il est à Thessalonique (Phil 2.25 ; 4.16).
Si vous ajoutez à tout cela la fameuse collecte organisée en Macédoine et en Achaïe — deux provinces romaines qui se situent sur les territoires des actuelles Grèce, Albanie et République de Macédoine — en faveur des croyants pauvres de Jérusalem, vous vous apercevez qu’il existe une véritable interdépendance entre les églises du N.T. Paul en parle en termes assez forts quand il évoque une dette de reconnaissance créée par les liens entre les églises (Rom 15.27).
On  ne  peut  affirmer  plus  explicitement  l’inter-dépendance, la dépendance réciproque des églises locales. J’attire toutefois votre attention sur la nature de  cette  interdépendance.  Il  ne  s’agit  pas  de  la subordination d’une église à une autre, mais d’une consultation commune, qui peut passer par de vifs débats dans le cas de la conférence de Jérusalem, une collaboration ponctuelle dans le cas du soutien de Paul par l’église de Philippes et une entraide matérielle volontaire dans le cas de la collecte en faveur de Jérusalem.
Voilà qui devrait nous conduire à tempérer notre attachement souvent excessif à l’indépendance de l’église locale — on entend ainsi parfois parler, en milieu baptiste dont je suis issu, de la « souveraineté » de l’église locale ! Émile Nicole 1  juge que cette affirmation massive de l’autonomie de l’église locale dans le milieu évangélique fait partie des idées reçues qui sont par définition non examinées. Sa critique touche juste pour beaucoup d’entre nous. Nous parons des vertus les plus doctrinales un principe qui n’est, à mon sens, que relatif et qui couvre souvent bien joliment la nudité misérable de notre individualisme en matière de collaboration. Pour ma part, j’estime que l’exemple des églises du N.T. nous invite à reconnaître les liens qui nous unissent et les dettes qu’elles engendrent, en un mot l’interdépendance de nos communautés et de nos œuvres évangéliques : nous avons besoin les uns des autres pour avancer. Les liens ne manquent pas entre nous qui justifient de véritables dettes de reconnaissance :
•   Liens historiques : nous nous reconnaissons dans une même filiation ancienne — la Réforme pour l’attachement à l’Écriture — et plus récente — l’évangélisme pour sa prédication de la croix et de la conversion.
•   Liens géographiques : nos églises et nos œuvres ont à cœur une même ville, une même région et une même nation.
•   Liens matériels : la plupart de nos églises doivent beaucoup au soutien financier direct ou indirect d’autres églises sœurs plus solides.
•   Liens affectifs : la circulation entre nos églises de prédicateurs, artistes, membres est une véritable source d’enrichissement et de rapprochement mutuels.

Mépriser  de  telles  réalités,  c’est  faire  preuve d’ingratitude et aussi de présomption. La communion entre évangéliques n’est pas une option parce que, bibliquement et pratiquement parlant, nos églises sont interdépendantes.

2. Une question de crédibilité : l’authenticité de l’amour

À côté de cette réalité, il y a une autre raison de manifester notre communion, c’est la crédibilité de notre témoignage. Le Seigneur ne dit-il pas que c’est à l’amour que nous aurons les uns pour les autres que tous connaîtront que nous sommes ses disciples (Jean 13.35) ? L’épisode de la collecte en faveur des chrétiens de Jérusalem illustre très concrètement la réalité de cet amour entre les églises locales.
L’église de Corinthe a montré beaucoup d’enthousiasme à l’égard de cette collecte au point de « prendre l’initiative » de ce vaste projet. Seulement, une année après cet élan de générosité, les églises de Macédoine ont déjà contribué à cette collecte tandis que les Corinthiens traînent encore les pieds. L’apôtre Paul juge donc utile de les rappeler à l’ordre et de leur écrire longuement à ce propos, ce qui explique la présence des chapitres 8 et 9 de la seconde lettre aux Corinthiens.
Paul leur dit en substance de tenir parole et d’aller jusqu’au bout de leur projet de collecte, autrement dit de manifester la réalité de l’amour qu’ils ont affiché en prenant l’engagement de ce geste de solidarité (2 Cor 8.7,8,10,11,24).

La contribution matérielle des Corinthiens à la collecte en faveur des chrétiens pauvres de Jérusalem est ici considérée par Paul comme un baromètre spirituel.
Au fond, l’apôtre ne fait rien d’autre que d’appliquer à cette situation précise ce que ne cesse de répéter le  N.T.  :  l’amour  ne  peut  se  contenter  de  belles paroles et d’intentions louables, il doit se traduire en actes concrets sous peine de n’être qu’un « pieux mensonge ». Ainsi, l’exhortation très circonstanciée de Paul aux Corinthiens nous concerne aussi aujourd’hui.
Nous ne cessons de prêcher, avec raison, l’importance de l’amour entre frères et sœurs dans nos églises locales, pouvons-nous sérieusement juger que cela n’a rien à faire avec nos relations entre églises locales ?
Serait-ce moins important d’aimer nos églises sœurs que d’aimer Dieu ? L’Écriture lie l’un et l’autre, fait de l’un — l’amour envers les frères — le signe visible de l’autre — l’amour envers Dieu. En cette affaire, il y va, au moins pour une part, de la crédibilité de notre prédication : nous enseignons l’amour mutuel, nous nous devons de le vivre. Nous avons tous certainement besoin, à un moment ou à un autre, d’entendre l’exhortation de l’apôtre à rendre effective notre libéralité promise afin qu’elle ne se transforme pas, sous la contrainte des événements, en un acte d’avarice (2 Cor 9.5).
La communion entre évangéliques n’est pas une option parce que la crédibilité de notre témoignage en dépend et l’amour nous y engage.

3. Un argument décisif :  la grâce du Seigneur

La réalité de l’interdépendance des églises et les exigences de l’amour ne suffisent pas toujours à régler les difficultés de collaboration.
La  question  de  la  circoncision  provoque  de vifs débats et de violentes discussions à Antioche, puis à Jérusalem. Le conflit est très sérieux du point de vue doctrinal puisqu’il touche aux principes même du salut, comme en témoigne l’Épître aux Galates. Mais de plus, il menace la bonne entente entre églises ; il risque, s’il est mal réglé, de provoquer une fracture entre les églises issues du paganisme et celles, comme Jérusalem, issues du judaïsme. L’apôtre Pierre fait alors valoir un argument décisif qui, parce qu’il fait justice à la bonne doctrine, permet aussi de préserver l’unité menacée. Et cet argument est celui de la grâce du Seigneur : « C’est par la grâce du Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés, de la même manière qu’eux. » (Act 15.11)
À  un  moindre  degré,  puisque  aujourd’hui  nous possédons le N.T., l’attachement à ce même principe de grâce nous aidera à surmonter les difficultés de  collaboration  et  à  rester  en  communion  les uns avec les autres. En reconnaissant que la grâce du Seigneur est à l’œuvre chez nos frères d’autres dénominations, d’autres origines, d’autres sensibilités, nous privilégierons l’essentiel sur l’accessoire, même en abordant des questions de doctrine. Parce que nous ferons ainsi justice à la bonne doctrine, celle de la grâce qui sauve, nous préserverons l’unité que nous avons en Christ et nous éviterons de faire de nos particularismes des étendards qui divisent.
Ce principe de la grâce du Seigneur est aussi invoqué par Paul à propos de la collecte pour Jérusalem. Aux Corinthiens qui traînent les pieds, Paul rappelle non seulement leur engagement mais aussi « la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis » (2 Cor 8.9).  Cette grâce magnifique, ce don du Seigneur de sa personne, fait dire à Paul que nos dons matériels pour les frères sont une œuvre de grâce. Bien plus qu’un devoir ou une responsabilité, c’est une grâce de pouvoir contribuer aux besoins d’autres églises. La grâce du Seigneur nous conduit à faire grâce à nos frères non seulement sur les plans individuel et spirituel, mais aussi sur les plans communautaire et matériel. L’œuvre du Seigneur nous invite non seulement à pardonner aux frères, mais encore à donner généreusement aux églises sœurs.
C’est à mon sens le plus puissant motif de notre communion, en particulier dans ce qu’elle peut avoir de rugueux et de coûteux. La communion entre évangéliques n’est pas une option parce que la grâce du Seigneur nous y conduit.

4. Une conséquence heureuse : de riches bénédictions

Au-delà de l’interdépendance des Églises, des exigences de l’amour et de la grâce du Seigneur, on peut noter une quatrième raison à notre communion : les riches bénédictions qu’elle comporte. L’issue heureuse de la conférence de Jérusalem a des conséquences bénéfiques  à  Antioche  où  ils  sont  «  réjouis  de l’encouragement qu’elle leur apportait » (Act 15.31).
Il en est de même dans toutes les églises où Paul communique les décisions prises. Le texte précise que, suite à cela, « les églises se fortifiaient dans la foi et augmentaient en nombre de jour en jour » (Act 16.5).
Concernant la collecte pour Jérusalem, Paul, pour convaincre ses lecteurs de la réaliser, argumente en dernier ressort qu’elle aura des conséquences heureuses. L’apôtre précise avec soin qu’elle n’aura pas des effets bénéfiques uniquement sur le plan matériel, mais aussi sur le plan spirituel : « Le service de cette collecte ne pourvoit pas seulement aux besoins des saints, il fait aussi abonder les prières de reconnaissance envers Dieu. » (2 Cor 9.12, S21) Ce « sacrifice » produira chez les bénéficiaires joie et louange à la gloire de Dieu ainsi qu’une intercession pleine de tendresse pour les donateurs : « Ils prient pour vous, parce qu’ils vous aiment à cause de la grâce éminente que Dieu vous a faite. » (2 Cor 9.14) Avec une seule pierre, les Corinthiens feront ainsi plusieurs jolis coups, dont ils bénéficieront par ricochets. Cette perspective d’une si riche bénédiction remet à sa juste place les contraintes inévitables d’une vraie communion.
La certitude paisible que Dieu bénit notre volonté de communion et qu’il le fait aussi précisément par les aspects les plus terre-à-terre de notre collaboration devrait tous nous encourager à entrer et à persévérer dans ce chemin de communion. Cela éviterait en outre que nous cédions à deux tentations bien courantes :
•   Le réflexe utilitaire qui n’est qu’une forme d’égoïsme déguisé : il consiste à dire que nous sommes en communion les uns avec les autres parce que c’est utile à notre église, sous-entendu tant que c’est utile à notre église. Sur ce mode-là, nos contemporains justifient aisément la malhonnêteté tellement utile dans un monde malhonnête. Non, nous sommes en communion parce que c’est utile à toutes nos églises et à toutes nos œuvres et que c’est une source de bénédiction mutuelle.
•   La piété désincarnée qui n’est qu’une fausse piété : elle consiste à dire aux frères dans le dénuement d’aller se rassasier, et de louer le Seigneur pour nos poches qui sont pleines. Nous mettons avec raison l’accent sur l’importance de la louange dans l’expression de notre piété, mais cela ne doit pas nous conduire à fermer les yeux sur les besoins matériels des frères et sœurs et encore moins nous empêcher d’obéir à la Parole de Dieu. Nous glorifions Dieu en chantant mais aussi en donnant. Nous l’exaltons par nos cultes d’adoration, mais aussi par nos collaborations concrètes. Souvenons-nous que, selon l’apôtre Paul, les réunions de louange ne suffisent pas à susciter la louange ; les dons en faveur des frères y contribuent tout autant. La compassion et la miséricorde des uns fait abonder les actions de grâce des autres pour la bénédiction de tous.

La communion entre évangéliques n’est pas une option parce que c’est une source de bénédiction pour tous.

* * *

La  réalité  de  l’interdépendance  des  églises,  les exigences de l’amour, la grâce du Seigneur et la richesse des bénédictions sont autant de raisons qui nous conduisent à marcher et à avancer ensemble en Christ.
Outre les pastorales et autres cultes en commun, voici au moins trois façons de manifester concrètement notre communion :
•   La solidarité dans les difficultés : ce serait un beau témoignage de solidarité si les responsables des autres églises se mobilisaient pour aider une église à trouver une solution quand elle traverse des difficultés (problème de locaux, difficulté à avoir les autorisations administratives pour ouvrir un lieu de culte, travaux qui nécessitent des compétences que cette église n’a pas). Un maire qui refuse de recevoir un pasteur pour un entretien serait peut-être plus enclin à ouvrir les portes de son bureau si deux, trois ou dix pasteurs le demandaient.
•   Le  soutien  mutuel  dans  l’évangélisation  :  il est  possible  d’imaginer  qu’une  ou  plusieurs églises envoient des équipes épauler une petite communauté dans son activité d’évangélisation.
La  petite  communauté  y  verrait  un  grand encouragement et les communautés moyennes ou grandes y trouveraient une source de bénédiction.
En effet, les équipes envoyées reviendraient sans aucun doute avec une vision et un zèle renouvelés pour proclamer l’Évangile !
•   La mise sur pied d’actions sociales en commun : l’action sociale fait aussi partie de notre témoignage.
Ne serait-il pas envisageable de créer une ou plusieurs  associations  avec  le  concours  de membres de différentes églises pour mener à bien des projets en faveur des pauvres, des mal-logés, des étrangers, des prostituées ou des drogués ?
L’avantage d’une telle collaboration, c’est à la fois d’être plus nombreux pour fournir des bénévoles, mais aussi plus vigilants pour que l’œuvre garde sa ligne évangélique malgré toutes les pressions directes ou indirectes dues aux craintes, aux modes ou aux subventions.

La communion entre évangéliques est et restera un défi permanent en raison des circonstances spécifiques à l’origine de nos communautés et aux sensibilités, voire spiritualités, différentes qui nous caractérisent. Un défi qui n’est pas seulement permanent, mais aussi particulièrement pertinent en ce XXI e  siècle marqué par l’individualisme. 

  1. Émile Nicole, docteur en théologie, est professeur émérite d’Ancien Testament à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur Seine (France).

Vivre les différences dans l'Église

Image de Lhermenault Etienne

Lhermenault Etienne

Diplômé de l’Institut Biblique et Missionnaire Emmaüs (Suisse) et de la Faculté Libre de Théologie Évangélique, Étienne Lhermenault est aujourd’hui professeur et directeur de l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne. Auparavant, il a exercé successivement le ministère de pasteur dans le Tarn et de secrétaire général de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France à Paris. Il a aussi été le premier président du Conseil national des évangéliques de France (CNEF).

les articles les plus lus

Nous avons tous été — ou nous serons tous — confrontés à la situation suivante : un ami athée vient de perdre un de ses proches dont tout laisse ... LIRE LA SUITE

Écrit par

Dans la Loi donnée à Moïse, Dieu a inclus des prescriptions étonnamment précises et modernes pour maintenir la justice sociale et économique parmi son... LIRE LA SUITE

La foi chrétienne est-elle un amalgame d’éléments contenus dans d’autres religions qui n’aurait rien d’authentiquement singulier ? Si tel était l... LIRE LA SUITE

Écrit par

Ce livre est d’abord le témoignage de l’auteur — qui nous permet de découvrir quel athée il a été, pour mieux comprendre un certain système de référen... LIRE LA SUITE

Écrit par