Le plus beau témoignage que l’Église peut apporter au monde
Nous avons vécu, il y a quelques années, un anniversaire de notre église. Peut-être était-ce les 30 ans de son existence. À cette occasion, nous avions invité le maire de la ville puisque nous veillions à avoir de bons rapports avec la municipalité, même si depuis 30 ans, sa couleur n’a pas toujours été la même. Lors de l’allocution du maire, un détail de son discours a retenu mon attention, d’autant qu’il était improvisé. Il s’agissait d’une observation de l’élu : « Je suis impressionné d’avoir face à moi un public que je ne retrouve nulle part ailleurs. En effet, ma charge impose ma présence en divers lieux, auprès de multiples associations ou corporations : tel club de boulistes, tel groupe d’aînés, telle association de pêcheurs à la ligne, telle amicale des commerçants du centre-ville, voire des écoles ou des confréries, des syndicats et autres consortiums…
Bref, des groupes définis de personnes précises. Or ici, je découvre une assistance — vos membres, vos amis — intergénérationnelle. Depuis longtemps, je n’avais plus vu d’assemblée où se côtoient spontanément et naturellement, des enfants (et même de très jeunes enfants) et des personnes âgées. La plupart du temps, les gens se regroupent par centres d’intérêts ou par catégories de genres et de classes. C’est une découverte de voir ici des personnes de tous âges ! Et c’est même rassurant. C’est certainement aussi un signe, voire un message ! »
Il nous semble normal d’accueillir tout le monde dans une église qui, de plus, défend les valeurs de la famille, mais finalement, cette église est devenue un des rares lieux où l’intergénérationnel, tant souhaité et espéré dans le monde, se vit vraiment et logiquement, manifestement et inévitablement.
Quand Paul écrit : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ » (Gal 3.28), il dit aussi que l’Église est constituée de Juifs, de Grecs, d’esclaves, de personnes libres, d’hommes, de femmes, etc.
Une juxtaposition de tribus
Le monde rassemble et gère les gens en tribus, en catégories, voire en clans. Sans doute est-ce utile et pratique pour beaucoup, mais nous savons tous l’appauvrissement que cela provoque lorsque l’on se coupe de l’autre, du différent. Qui se ressemble s’assemble, globalement, et cela engendre une identité, voire un réflexe identitaire peut-être nécessaire, mais qui isole, et parfois extrait.
Imaginez des chauves qui se regroupent et qui en arrivent à ressentir une ségrégation capillaire de la part des chevelus. Ils en viennent à exprimer une souffrance à laquelle le regroupement donne une légitimité, jusqu’à revendiquer une différence.
Bientôt, ils n’interpréteront le monde et les autres qu’au travers d’un seul critère : le leur. S’ils pouvaient, ils couperaient le cheveu en quatre ! Ce type de cloisonnement accentue et entraîne des déchirures entre les êtres, jusqu’à la segmentation mortifère.
Lorsque l’Église vit d’instinct, simplement et foncièrement, l’intergénérationnel, elle ne prend pas seulement l’individu dans son entièreté, mais dans toutes les étapes de sa vie. Cette prise en compte et cette mise en présence de tous obligent à une attitude, une écoute, une ouverture, une posture que des groupes spécifiques et sélectifs ne peuvent plus avoir. La richesse et la nécessité de l’intergénérationnel se vérifient parfois lorsque la société signale l’utilité et l’efficacité de faire cohabiter une école primaire avec un Ehpad 1. On découvre, on redécouvre alors, la force vive de l’échange entre un enfant rencontrant un aîné, et un aîné partageant avec un enfant, dans un quotidien oublié. On évoque alors, avec nostalgie, ces lieux de vie où
plusieurs générations cohabitaient. La vie moderne — dite évoluée — a trié les gens pour les parquer en catégories aux étiquettes ajustées. On idéalise la société, mais elle est devenue un morcellement de sociétés qui vivent de privatisations, et donc de concurrences.
Une tentation pleine de risque
Nous sommes donc, dans l’Église, riches et privilégiés sans le savoir. Mais nous sommes aussi contaminés par un monde qui aime disqualifier la famille et néglige la pertinence de l’intergénérationnel. En effet, nous nous laissons surprendre par la tentation de segmenter, au nom d’une efficacité qui n’est guère prouvée. Lorsque nous suscitons une église pour les jeunes, par exemple, ne courons-nous pas le risque d’abandonner ce qui était un avantage et un don ? Laisser entendre que des églises de jeunes, pour des jeunes, animées par des jeunes, lesquels vivent une spiritualité différente et une louange propre, seraient le meilleur moyen de préparer l’église de demain, voilà un leurre redoutable. Nous ne sommes pas loin d’une ségrégation qui ne dit pas son nom et qui ressemble à un jeunisme malsain.
Et que dire des Bibles pour jeunes, des Bibles pour femmes, des Bibles pour sportifs… On peut comprendre une démarche qui cherche à toucher un « public cible » ; cependant le risque est grand de décomposer un peuple pour en faire une collection de catégories spécifiques et étanches, identitaires mais en rupture avec le reste du peuple. Être à l’écoute des besoins spécifiques de chacun ne doit pas conduire à compartimenter et à cloisonner.
Soyons vigilants et apprécions cette consigne de Paul : « Comme nous avons plusieurs membres dans un seul corps, et que tous les membres n’ont pas la même fonction, ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps en Christ, et
nous sommes tous membres les uns des autres. » (Rom 12.4-5).
Ensemble ou chacun de son côté ?
Le discours « mondain » scande et idéalise le « tous ensemble », mais la pratique cherche à dissoudre cette intention pour flatter et justifier la différence.
Le paradoxe est d’ajouter un + alors que l’on morcelle la population en catégories de plus en plus rétrécies. Cette scissiparité 2 est illustrée par la façon dont il faut aujourd’hui reconnaître et appréhender les différences dans les pratiques sexuelles : LGBT — déjà quatre orientations — devient LGBTQ2, puis LGBTQIA+… Il est évident que la prise en compte des différences dissout le corps et tue l’unité. On ne partage plus, on divise. Pierre semble avoir reçu une leçon lorsqu’il dit : « En vérité, je reconnais que Dieu ne fait point de favoritisme. » (Act 10.34).
Le message de Dieu, qui se vit en église, est un message universel ; pas seulement parce qu’il se joue des frontières, mais parce qu’il se joue des genres et des âges. Un dénominateur commun existe à l’extérieur de l’individu ; la seule réalité qui
soit commune à tous les chrétiens, pourtant tous différents, c’est le Créateur, le Père de leur Seigneur Jésus-Christ. Cette référence unique et universelle permet une fraternité réelle, intergénérationnelle, qui transforme nos différences en richesses
dispensées ; nous nous efforçons « de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix » (Éph 4.3).
Certaines vérités sont tellement simples qu’on a tendance à les oublier, au profit de modes ou … d’un diviseur !